L’Évangélisation par la gestuelle[:]


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Le langage de la foi ou de tout ce qui se rapporte au religieux semble de plus en plus inaccessible aujourd’hui du fait que d’une part, les gens ne savent plus Écouter ou ont perdu tout rapport avec ce qui se rapporte à l’invisible, au monde spirituel. D’autre part, les gens optent davantage pour la facilité, pour la consommation, pour ce qui est facile d’accès : c’est la culture du «moins d’efforts ». En ce sens, parler de l’Évangélisation dans un tel contexte n’est pas gagné, car cela comporte de nombreux mots techniques ou manières de faire qui nécessitent une traduction et une adaptation aux personnes concernées ou visées. Ainsi, l’Évangélisation par les gestes s’avère un moyen efficace aujourd’hui, non pas parce que c’est innovant dans la mesure où toute la vie du Christ et des chrétiens qui nous ont précédé était évangélisatrice par la gestualité, mais parce que c’est opportun pour le contextuel actuel où le monde a soif de témoignage.

Un parent qui demande à son enfant de faire quelque chose ne peut être crédible que si celui-ci a été témoin des gestes que le parent en question a lui-même posés. Cela révèle que les gestes ont une puissance sans précédent puisqu’on s’en souvient toujours parce que l’on en a été marqué positivement. En ce sens, nous ne pouvons pas par exemple parler de l’Amour autour de nous ou demander aux gens de s’aimer si nous-mêmes, nous ne vivons pas concrètement cet Amour : « “[…] Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres.” » (Jn 13, 34-35) L’Amour donné et vécu extérieurement jaillit du plus intérieur de nous, car nous ne pouvons pas donner ce dont on ne possède pas.

Il est intéressant de noter que tous les Évangiles soulignent un geste incontournable de Jésus dans ses rapports avec son entourage, il s’agit du toucher : « Et en tout lieu où il pénétrait, villages, villes ou fermes, on mettait les malades sur les places et on le priait de les laisser toucher ne fût-ce que la frange de son manteau, et tous ceux qui le touchaient étaient sauvés. » (Mc 6, 56) Par le toucher, Jésus manifeste sa proximité avec l’humanité, il impose les mains pour guérir[1] : « […] La voyant, Jésus l’interpella et lui dit : “Femme, te voilà délivrée de ton infirmité” ; puis il lui imposa les mains. Et, à l’instant même, elle se redressa, et elle glorifiait Dieu. » (Lc 13, 11-13) Aussi, Jésus tend la main pour relever[2] : « Mais, quand on eut mis la foule dehors, il entra, prit la main de la fillette et celle-ci se dressa. » (Mt 9, 25) ; Jésus se laisse également toucher par ceux et celles qui en ont besoin : « Or voici qu’une femme, hémorroïsse depuis douze années, s’approcha par derrière et toucha la frange de son manteau. » (Mt 9, 20) Toutes ces attitudes du Christ sont des exemples concrets de voies à emprunter pour se faire proche de l’humanité.

Dans ce contexte, comme chrétiens, nous sommes par exemple appelés à notre niveau à donner la main pour saluer. Un tel geste devient alors un signe de proximité, car il ne se limite plus seulement à la simple salutation, mais à travers cela, nous communiquons à l’autre quelque chose de nous, une chaleur humaine, des énergies dont il a besoin, qui peuvent changer son quotidien et peut-être dont il ne s’y attend pas. Cela nécessite donc que nous sortions de nos bulles, que nous fassions fi de nos craintes des microbes, de nos peurs d’être contaminés par les germes des autres, car il vaudrait mieux que nous tendions la main et que celle-ci soit refusée en toute liberté par la personne à qui nous la tendons plutôt que le contraire. Proposons nos mains et laissons les autres en disposer, chargeons-nous de donner et laissons l’autre dans sa liberté de prendre ou de refuser. De toute évidence, notre peur de la contagion microbienne peut empêcher la transmission ou la contamination de l’Amour de Dieu qui passe par nos mains, qui passe par notre proximité, par notre présence aux autres. Donner la main avec délicatesse et accompagner cela du regard est une marque de notre présence, c’est le signe que nous sommes entièrement disponibles pour l’autre, qu’il a toute notre attention. Donner la main à un inconnu dans la rue ou à un mendiant qui demande de l’aumône lui rappelle sa dignité et peut dans certains cas valoir plus que le matériel que nous pourrions lui donner. Tendre la main à une personne par terre en vue de la relever revient à poser le même geste que le Christ, à communiquer de la tendresse et de la compassion. Se faire proche des personnes qui nous entourent ou vers qui nous sommes envoyées avec les mains dans les poches n’a aucun sens dans la mesure où il n’y a aucun contact. Or le monde a actuellement soif d’être touché, il a soif de proximité, il a besoin d’être étreint. En touchant le monde, nous lui communiquons quelque chose de nous, quelque chose que nous avons nous-mêmes reçu gratuitement, quelque chose de Dieu, quelque chose qui nous dépasse et dont nous n’avons pas nécessairement connaissance.

À travers ses bras ouverts sur la croix, le Christ nous invite à embrasser sans cesse le monde malgré qu’il nous rejette, et comme lui, à prier le Père ainsi : « “Père, pardonne-leur : ils ne savent ce qu’ils font.” » (Lc 23, 34) À la suite de Paul, le Christ nous appelle à faire preuve de bienveillance envers l’humanité, à panser ses blessures, à la prendre dans nos bras pour lui communiquer la Vie : « Paul descendit, se pencha sur lui, le prit dans ses bras et dit : “Ne vous agitez donc pas : son âme est en lui.” » (Ac 20, 10) Notre proximité du monde se verra aussi dans le fait que nous aurons pleuré avec lui dans la peine et le deuil, que nous l’aurons embrassé pour le consoler, que nous aurons été proches de lui dans tous les évènements : « Tous alors éclatèrent en sanglots, et, se jetant au cou de Paul, ils l’embrassaient, affligés surtout de la parole qu’il avait dite : qu’ils ne devaient plus revoir son visage. Puis ils l’accompagnèrent jusqu’au bateau. » (Ac 20, 37-38)

Les mains du baptisé deviennent alors cet instrument dont se sert Dieu pour rejoindre le monde au quotidien, dont il se sert pour communiquer quelque chose de lui. Nos mains sont ce canal par lequel l’Esprit se communique et agit dans le monde à travers les contacts humains. Ainsi, à chaque fois que nous fermons nos mains, que nous ne les donnons pas, nous privons l’humanité du don de Dieu, nous la privons de ce qui peut la transformer et la rapprocher davantage de l’Insaisissable. Le fondement de notre propos se trouve dans les Paroles mêmes du Christ : « “Allez dans le monde entier, proclamez l’Évangile à toute la création. […] Et voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom ils chasseront les démons, ils parleront en langues nouvelles […] ils saisiront des serpents, et s’ils boivent quelque poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux infirmes et ceux-ci seront guéris.” […] » (Mc 16, 15-20) Ainsi, le Christ envoie ses disciples imposer les mains en vue de guérir, il nous envoie donc transmettre par nos mains ce que nous avons reçu de lui.

Par ailleurs, en nous laissant toucher par l’humanité, c’est le Christ que nous laissons toucher puisqu’en nous il a fait sa demeure, il a établi en nous sa tente : « Celui qui confesse que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui et lui en Dieu. Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est Amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. » (1 Jn 1, 15-16) De ce fait, nous laisser toucher par l’humanité c’est aussi la laisser toucher le Christ, toucher la vie même de Dieu. Et cela ne se limite pas seulement au geste corporel tel les mains, mais aussi celui du cœur. En effet, nos actions sont la résultante de notre Être, de notre intériorité, du cœur. Ainsi, laisser le monde nous toucher en nos entrailles, dans notre cœur, c’est le laisser toucher les entrailles même de Dieu.

Plus notre regard sera contaminé par celui du Christ, plus nous pourrons contaminer celui du monde. Notre façon de regarder l’humanité, à la manière du Christ, c’est-à-dire en l’aimant, est un geste d’Évangélisation actuel : « Alors Jésus fixa sur lui son regard et l’aima. » (Mc 10, 21) Ce regard d’Amour du Christ est le chemin à emprunter au quotidien dans toutes nos relations, car le danger de juger le monde nous guette sans relâche et nous pouvons éviter cette tentation en priant pour ce monde comme le Christ afin de l’immerger dans l’intimité de Dieu. Le Christ était un homme de prière et il en avait fait sa respiration. À sa suite, tant que notre vie sera prière, notre regard sur l’humanité pourra être teinté de celui de Dieu. Nous pourrons alors sans cesse porter ce monde dans notre cœur à l’instar de la bienveillance d’une mère vis-à-vis de son enfant, comme la Theotokos[3], nous serons alors capables de prier sans fin pour le monde afin qu’il soit davantage embrasé de la Miséricorde de Dieu. Cette Miséricorde envers l’humanité est le signe de notre fidélité envers lui à l’instar de celle de Dieu[4] : « Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils, Jésus Christ notre Seigneur. » (1 Co1, 9). Il s’est montré fidèle à travers les âges, après la chute originelle jusqu’à la croix : « “Père, pardonne-leur : ils ne savent ce qu’ils font.” » (Lc 23, 34) Bien que la société nous rejette à cause de notre attachement au Christ qu’elle considère comme absurde, nous ne pouvons que l’aimer d’un Amour fidèle, car c’est aussi cela être assidu à l’enseignement du Christ[5] : « Montrez-vous au contraire bons et compatissants les uns pour les autres, vous pardonnant mutuellement, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ. » (Eph 4, 32) Notre regard de chrétiens sur le monde n’est pas seulement appelé à être un regard d’Amour et de Miséricorde, mais aussi un regard qui interpelle : « » […] et le Seigneur, se retournant, fixa son regard sur Pierre. Et Pierre se ressouvint de la parole du Seigneur, qui lui avait dit : « Avant que le coq ait chanté aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois. » » (Lc 22, 61) Évidemment, le Christ ne juge pas Pierre qui est entrain de le renier, mais par le regard posé sur lui, il lui fait prendre conscience du geste qu’il pose à cet instant, et cela a un effet sur Pierre : « Et, sortant dehors, il pleura amèrement. » (Lc 22, 62) Cela indique que le regard interpelant posé sur l’humanité peut l’amener à pleurer amèrement ses erreurs, à se ressaisir, à se relever et à changer d’option. Attention, ce regard interpellant n’est pas un regard qui juge !

L’Évangélisation ne se limite donc pas seulement à des mots, mais elle porte aussi sur des gestes. Par nos mains, nous pouvons communiquer quelque chose de Dieu au monde, nous pouvons le relever et l’aider à se construire. Par notre cœur, nous pouvons porter et mener l’humanité dans les entrailles mêmes de Dieu. Par nos bras, nous pouvons étreindre le monde et l’enfermer dans l’Amour divin. Par nos yeux et nos larmes, nous pourrons manifester à l’humanité la compassion de Dieu. Le langage de la gestualité est d’actualité et peut aider là où d’autres formes de langages ne favorisent pas ou plus une rencontre véritable avec le Père du fait du contexte présent.

© Léandre Syrieix.

[1] Mt 8, 3 : « Il étendit la main et le toucha, en disant: « Je le veux, sois purifié. » Et aussitôt sa lèpre fut purifiée. » Mc 1, 41-42 : « Emu de compassion, il étendit la main, le toucha et lui dit: « Je le veux, sois purifié. » Et aussitôt la lèpre le quitta et il fut purifié. »

[2] Mc 5, 41: « Et prenant la main de l’enfant, il lui dit: « Talitha koum« , ce qui se traduit: « Fillette, je te le dis, lève toi! » » Mc 8, 27 : « Mais Jésus, le prenant par la main, le releva et il se tint debout. »

[3] La Mère de Dieu.

[4] Lm 3, 22-23 : « Les faveurs de Yahvé ne sont pas finies, ni ses compassions épuisées; elles se renouvellent chaque matin, grande est sa fidélité! » Ps 98, 2-3 : « Yahvé a fait connaître son salut, aux yeux des païens révélé sa justice, se rappelant son amour et sa fidélité pour la maison d’Israël. Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. » 1 Co 10, 13 : « Dieu est fidèle; […] » 2 Co 1, 18 : « Aussi vrai que Dieu est fidèle, notre langage avec vous n’est pas oui et non. »

[5] Col 3, 12-13 : « Vous donc, les élus de Dieu, ses saints et ses bien-aimés, revêtez des sentiments de tendre compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience; supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si l’un a contre l’autre quelque sujet de plainte; le Seigneur vous a pardonnés, faites de même à votre tour. »

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