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Cette question n’avait jamais sérieusement effleuré mon esprit jusqu’à mon récent voyage en Afrique, plus précisément au Cameroun[1] après 12 ans sans y être retourné. En effet, j’y suis né au Cameroun et y ai passé toute mon adolescence, suivi d’une transition au Gabon. J’ai passé mon entrée à l’âge adulte en France, Terre qui est devenue un autre chez-moi vu ma naturalisation. Finalement, je me retrouve au Canada, mon nouveau chez-moi. Voilà trois continents qui marquent mon histoire de vie, qui forgent ma personnalité et mon identité humaine et chrétienne.
Le retour aux sources de mon histoire après 12 années a été un moment intense en émotions. Dès l’atterrissage de l’avion, des larmes ont jailli de mon corps, exprimant ainsi la réminiscence de ce lien originaire qui me lie avec cette Terre. Mon esprit était habité par une dualité émotionnelle que je ne pouvais exprimer : d’une part le sentiment d’appartenance à cette Terre, d’autre part, le sentiment d’être en Terre étrangère.
La misère et les conditions de vie difficiles des personnes que j’ai rencontrées m’ont plongé de nouveau dans une réalité qui m’était devenu lointaine après toutes ces années. Être témoin de tant de souffrance et d’injustice, d’un agrandissement sans fin du fossé entre les riches et les pauvres ont fait naître en moi de la colère. Mais aussi, l’expression de la foi et de la joie des personnes, lors des célébrations eucharistiques, ont été pour moi une grande consolation.
Ma proximité avec mon peuple durant ce séjour m’a permis de prendre conscience que je ne m’identifiais plus aux réalités locales, même si cette culture a forgé celui que je suis aujourd’hui. De plus, plusieurs personnes m’ont rappelé directement et indirectement qu’au-delà de ma couleur et de mes origines identiques aux leurs, je demeure à présent un Étranger. J’ai reçu à maintes reprises les mêmes remarques en France, car bien que je sois Français, il est demeuré vrai que je viens d’ailleurs. Je vis la même situation au Canada, cette nouvelle Terre qui est présentement le chez-moi. Il m’y est également souvent fait remarquer que je suis lié originellement à une autre Terre.
Cette particularité de mon histoire m’a permis de réfléchir profondément sur le sens de ma vocation humaine et de mon pèlerinage terrestre. Puisque pour le Cameroun je ne suis pas des leurs, car je n’ai pas la nationalité camerounaise, puisque pour la France je suis d’ailleurs même si je suis français, puisque pour le Canada je suis également un Étranger, une seule chose est vraie : je suis simplement ici-bas de passage, en pèlerinage. Bien que fier de mes origines africaines, de mon histoire européenne, de mon appartenance américaine, je suis conscient d’être un Étranger. Toutefois, comme chrétien, ma joie est de savoir que ma Terre est la Patrie Céleste : « Ils ne sont pas du monde, tout comme moi, je ne suis pas du monde. Consacre-les par ta vérité ! Ta parole est la vérité. Tout comme tu m’as envoyé dans le monde, je les ai moi aussi envoyés dans le monde, et je me consacre moi-même pour eux afin qu’eux aussi soient consacrés par la vérité. » (Jn 17,16-19)
Voilà, je crois, la source et le sens de mon histoire personnelle. Aujourd’hui, « je ne comprends pas les voies du Seigneur, mais je sais qu’il connaît pour moi le chemin[2] ». Toutes ces différences culturelles liées à mon histoire, souvent perçues comme négatives ou comme des faiblesses, sont au contraire des richesses[3], des forces, dans la mesure où elles me donnent de saisir davantage le langage humain lié à culture où je suis enraciné, afin que la Parole de Dieu y soit donnée : « Tout comme tu m’as envoyé dans le monde, je les ai moi aussi envoyés dans le monde. » (Jn 17,18)
Ma Terre ni la tienne ne sont donc pas d’ici-bas puisque « pour nous, nous sommes citoyens des cieux ; d’où nous attendons aussi le Sauveur, le Seigneur Jésus-Christ. » (Ph 3,20) Si nous redécouvrions le sens de ces propos de Saint Paul, notre attitude par rapport à l’appartenance territoriale changerait. C’est un moyen sûr et évangélique pour pallier aux guerres qui sévissent dans le monde tant sur le plan national qu’international. Mais aussi, c’est une clef de saisie du sens de la Nouvelle Évangélisation aujourd’hui.
© Léandre Syrieix.
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[1] Ma Terre de naissance.
[2] Paroles de Dietrich Bonhoeffer, pasteur protestant allemand.
[3] « Mais il m’a déclaré : ‘‘ Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse.’’ C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. » (2 Co 12,9)
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