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Saint Paul nous dit que « l’Amour prend patience ; l’Amour rend service ; l’Amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. » (1 Co 13, 4-7) On retrouve toutes ces caractéristiques de l’Amour chez le Christ qui, même aux dernières heures de sa vie publique, n’a cessé de poser de multiples gestes pour illustrer cela. On peut le voir lors de la Cène au cours de laquelle il ne propose guère un traité théologique sur l’Eucharistie ou le Sacerdoce, mais instruit sur le sens du service et de l’Amour fraternel. Le Christ invite ses Apôtres à poser des gestes d’Amour et d’attention les uns les autres :
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. (Jn 13, 12-15)
Et par le fait même, il nous invite à ne vivre que d’Amour, à ne respirer que l’Amour et à tout faire par Amour. Ainsi, le Christ pose des gestes concrets d’Amour pour ses Apôtres avant de les confier au Père dans la prière. Alors, on remarque que sa prière est alimentée et précédée par des actes et non l’inverse puisque c’est parce qu’il aime à la manière du Père, car il s’est abaissé en prenant la condition humaine (Dieu qui est la Parole ou le Verbe s’est fait chair) par son Incarnation. Le Fils, quant à lui, s’abaisse et se fait esclave pour l’humanité en lui lavant les pieds, en offrant sa vie pour le Salut de tous. Il désire donc que nous aimions comme lui :
Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon Amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon Amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son Amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. (Jn 15, 9-12)
Le Christ, à travers son témoignage de vie, nous montre qu’aimer à sa manière, c’est-à-dire en se mettant au service de l’autre, en s’oubliant soi-même devant l’être aimé est possible. Il ne nous demande pas des choses impossibles, mais réalisables. Jésus propose son exemple, « si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon Amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son Amour. » (Jn 15, 10). Ce commandement ultime n’est rien d’autre que l’Amour qui passe de la tête au cœur et du cœur aux mains, c’est-à-dire aux actes, aux gestes concrets. Le Christ aime donc l’humanité en ce sens qu’il lui rend service, et c’est parce qu’il s’abaisse pour ses frères et sœurs humains qu’il peut par la suite les porter au Père dans sa prière. Dans ce cas, la prière ne précède pas ses gestes, car aime et le montre. Ses actes nourrissent sa prière. Mais qu’elle est le contenu de cette prière ? :
« Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie. […] Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe […] Moi, je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi […] Père saint, garde-les unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes […] Consacre-les dans la vérité : ta parole est vérité […] Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité […]Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi […] Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde […] » (Jn 17, 1-26)
Dans la prière « sacerdotale » de Jésus, on peut remarquer une certaine synergie entre le Père, le Fils et les disciples ou l’humanité. Manifestement, après avoir glorifié le Père, le Christ demande sa glorification et la consécration de l’humanité. Il rappelle dans sa prière qu’il leur a enseigné la Vérité, c’est-à-dire le Logos du Père [« ta Parole est vérité » (Jn 17, 17)], et c’est pourquoi il le leur confie par la suite : le Christ enseigne puis demande au Père, dans sa prière, de les affermir afin que cet enseignement porte du fruit, s’enracine dans leur vie. C’est donc après avoir aimé l’humanité en acte et en parole que le Verbe de Dieu le porte dans sa prière.
On remarque par ailleurs dans les Évangiles que la prière est au cœur de la vie de Jésus, tant dans son ministère public que dans sa vie cachée. La prière est la nourriture et la boisson dont il s’enivre pour demeurer constamment dans l’intimité du Père. Parce ses paroles et ses gestes sont prière, sa présence et son absence sont prière, parce que toute sa vie est prière, Jésus demeure constamment en union avec Dieu, mais aussi avec l’humanité dans la mesure où sa prière s’enracine dans le concret des hommes et des femmes qu’il côtoie.
Une des caractéristiques de la prière est alors sa répétition, sa constance et surtout son enracinement dans le réalisme humain et spirituel. La prière chrétienne est de ce fait continuelle et permanente. Elle est respiration pour l’humain dans la mesure où il ne respire que de Dieu, il demeure en constante union avec lui dans cet espace, dans ce moment privilégié. Autrement dit, l’âme respire la prière ; elle se nourrit et s’abreuve de la prière. Ainsi, pour éviter d’être habités par les pensées infectes et poser des actions mauvaises, nous pouvons faire de la prière notre respiration en redisant par exemple intérieurement, voire des lèvres l’hésychia, « la prière du Nom de Jésus » ou « la prière du cœur » (Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi). Cela est vrai à tout moment et en tout lieu, car le réflexe de l’humain vis-à-vis de Dieu doit être la prière en toute circonstance comme nous l’indiquent les Écritures : « N’ayez aucun souci ; mais en tout, par la prière et la supplication avec action de grâce, faites connaître à Dieu vos demandes. » (Phi 4, 6). Ou encore, comme nous le montrent les Évangiles au sujet du Christ : à son baptême il prie pendant que le ciel s’ouvre (Lc 3, 21) ; Jésus prie pendant la tentation au désert (Mt 4, 1) ; il se retire au désert pour prier alors qu’il est recherché par la population (Lc 5, 15) ; Jésus a l’habitude de se retirer dans un lieu propice pour prier (Mc 1, 35) ; il se retire pour prier avant de choisir les Douze (Lc 6, 6) ; il va à l’écart pour prier avant de faire une révélation (Lc 9, 18) ; Jésus va prier avec Pierre, Jacques et Jean avant la transfiguration (Lc 9, 28) ; sa prière précède son enseignement (Lc 11, 1) ; Jésus enseigne aussi comment prier (Mt 6, 5 ; Mt 6, 9) ; il prie après une mauvaise expérience en Galilée (Mt 11, 25) ; la résurrection de Lazare est opérée par sa prière (Jn 11, 41) ; il prie même lorsqu’il est menacé de mort (Jn 12, 27) ; Jésus rend grâce au Père lors de la Cène (Lc 22, 19) ; il assure à Pierre d’avoir prié pour lui afin que sa foi ne défaille pas (Lc 22, 32) ; à Gethsémani Jésus prie avant sa passion (Lc 22, 40 ; Jn 17, 1) ; sur la croix il prie pour que le Père pardonne ses bourreaux (Lc 23, 34), mais il prie aussi pour lui-même (Mt 17, 46 ; Mc 15, 33), etc.
La prière est une exigence pour l’humain devant Dieu, car elle est nécessaire en permanence dans notre vie comme le besoin de respiration. La prière est le grand mouvement de l’union avec Dieu comme la respiration qui est le grand mouvement de la Vie. C’est le signe d’Amour de l’humain envers Dieu, car lorsqu’on aime, on demeure en communion et en présence de l’être aimé. La constance de la prière maintient ainsi le chrétien en union avec la Divine Trinité, mais sa répétition à l’instar de « la Prière du cœur » a également des effets bénéfiques sur l’être tout entier, c’est-à-dire dans le corps, dans l’âme et dans l’esprit. Enraciner la prière ou la prolonger dans le réalisme de l’existence humaine est aussi une façon de mettre en pratique les commandements divins comme « Veillez et priez en tout temps » (Lc 21, 36). La constance de la prière ou une vie enracinée dans la prière peut aider le chrétien dans son rapport avec « la maitrise du temps », notamment lui permettre d’apprendre à se fixer dans le présent. C’est un geste d’Amour à l’instar du Christ qui nous a aimés, qui nous a enseigné le sens de l’Amour et qui a prié pour l’humanité avant sa passion afin que nous demeurions dans cette dynamique d’Amour, dans l’union avec la Divine Trinité : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17, 21)
Faire de la prière sa respiration, c’est-à-dire l’enraciner dans le réalisme humain et spirituel comme acte d’Amour revient à mettre en application cette sentence d’un Père du désert : « Que tu sois donc dedans ou que tu sois dehors, où que tu ailles, ne cesses pas de bénir Dieu, non seulement en paroles, mais aussi en actions et en pensées glorifies ton Maître, car la divinité n’est pas circonscrite en un lieu, mais étant partout elle embrasse tout par sa vertu divine[1]. » En effet, la permanence de la présence de Dieu se manifeste dans toute forme de prière (des lèvres, du cœur, des mains, etc.) qu’elle soit passive ou active, mais aussi en tout lieu. C’est un signe d’Amour.
© Léandre Syrieix.
[1] Lucien Regnault, Les sentences des Pères du désert. Nouveau recueil, Sarthe, Abbaye Saint-Pierre de Solesmes, 1977, p. 55-56.[:](11)
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