Ex 22, 20-26 – Ps 17(18) – 1 Th 1, 5c-10 – Mt 22, 34-40

30e dimanche du Temps Ord. (A)

 

L’existence humaine est impossible sans amour parce que c’est le moteur des relations, c’est ce qui rend possible le « vivre ensemble ». L’amour est une force qui nous procure la vie et qui nous met en mouvement. Lorsque l’amour est blessé ou vient à manquer, s’en suivent de nombreuses conséquences : mal-être, isolement, dépérissement, guerres, rejets, etc. Les Écritures placent l’amour comme le cœur du message biblique et par ce fait même, dit comment c’est capital et constitue la condition première de la vie chrétienne.

Lorsqu’un pharisien demande à Jésus le plus grand des commandements parmi les centaines inscrites dans l’Écriture, c’est l’amour qui est mis en avant : l’amour de Dieu et celui du prochain (Mt 22, 37-39). Or, parler de l’amour de Dieu présente un risque énorme, celui de rester enfermé dans des conceptions théoriques ou d’idées n’ayant aucune incidence dans la vie quotidienne. Le Christ, comme Maître, c’est-à-dire pédagogue, opère le passage de l’aspect spirituel de l’amour à son enracinement dans réalité humaine. Autrement dit, le christ nous révèle le visage de l’amour : le prochain (Mt 22, 39). Mais une question incontournable se pose pour bien intégrer l’expression « l’amour du prochain » pour éviter qu’il devienne un simple slogan que tout chrétien scande pour se complaire sur le plan spirituel : qui est le prochain ?

Le terme grec « plèsion » exprime bien le sens de prochain : « il exprime l’idée de s’associer avec quelqu’un, d’entrer dans sa compagnie. À l’inverse de frère, auquel on est lié par la relation naturelle, le prochain n’appartient pas à la maison paternelle »[1]. Ainsi, le prochain est d’abord celui ou celle avec qui nous n’avons pas de lien de parenté. Cette spécification rend alors, à première vue, la révélation de Jésus assez exigeante ; car il est plus facile d’aimer Dieu en parole que de l’aimer en acte et en vérité à travers le prochain qui peut être présent dans ma vie de manière passagère ou permanente. De plus, le prochain à la particularité que nous ne le choisissons pas, car il nous est donné par Dieu à tout moment de notre vie.

Ce prochain que l’on ne choisit pas, mais que nous sommes appelés à recevoir possède plusieurs visages tels qu’exposés dans le livre de l’Exode : l’immigré, la veuve et l’orphelin, le pauvre parmi nous (Ex 22, 20-21.24). Ces trois catégories représentent les types de personnes qui, dans la Bible, sont les protégés de Yahvé et qui ont du prix à ses yeux. Ces catégories humaines sont présentes dans nos quotidiens : immigrants que nous sélectionnons sur la base de nos critères économiques et culturels ; demandeurs d’asile que nous ignorons ; veuves dont les droits et la dignité humaine sont bafoués au nom de traditions locales ; rescapés de naufrages tassés dans de camps de fortune au nom d’un protectionnisme étatique et économique ; nègres stigmatisés à cause de la peur de la différence ; personnes autochtones méprisées à cause d’un aveuglement systémique ; itinérants ignorés à cause d’une indifférence de plus en plus mondialisée ; aînés isolés à cause d’une perte de valeurs identitaires ; pauvres bafoués à cause d’un individualisme et capitalisme à outrance ; croyants de diverses religions opprimés ou rejetés à cause d’une idéologie laïque d’une part et d’un fanatisme religieux d’autre part ; etc. La liste non exhaustive du prochain actuel décrit bien ses multiples visages et doit nous questionner sur le sens que nous donnons à l’amour de Dieu.

Le visage de l’amour c’est le prochain créé à l’image de Dieu. Or, « Dieu est amour » (1 Jn 4, 7). Donc Dieu prend le visage du prochain. Ainsi, la manière dont nous aimons le prochain dit notre façon d’aimer Dieu. Pourtant, la situation de nos relations interpersonnelles, internations, interétatiques, etc., dit clairement que Dieu n’est pas aimé dans notre humanité. Voilà une tristesse qui rend urgent le besoin de conversion des cœurs et des pratiques. L’amour de Dieu nous presse à travers l’autre. Cela est possible à travers le modèle que saint Paul nous propose : l’accueil (1 Th 1, 9). Nous sommes donc invités à ouvrir grandement les bras de l’humanité pour accueillir notre Rédempteur ; à ouvrir nos frontières, nos maisons, nos cœurs pour accueillir la misère du monde. Oui ! Pour accueillir la misère du monde les bras ouverts, comme le Christ en croix accueillant la misère de l’humanité pour que nous ayant la vie éternelle.

Osons ! Daignons, de bien des façons, cultiver et risquer l’accueil, sous toutes les formes, du prochain qui est le visage même de l’amour, c’est-à-dire de Dieu.

© Léandre Syrieix.

[1] Xavier Léon-Dufour, et coll., Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Éditions du Cerf, 1981, p. 1038.


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