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Ex 24, 3-8 – Ps 115 (116b) – He 9, 11-15

Mc 14, 12-16.22-26

Le Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ (B)

Bien que cela pourrait surprendre, les rituels de sang qualifiés de barbares par certaines personnes sont d’actualité, pratiqués au quotidien sous diverses formes, parfois de façon très subtile. Les avancées technologiques et la modernisation plongent plusieurs d’entre nous dans une autre réalité où ces rites de sang sont vu comme des actes rétrogrades. Pourtant on les retrouve au cœur de nos systèmes étatiques, économiques, politiques, religieux, etc. Ils sont présents de biens de manières dans nos pratiques quotidiennes individuelles ou collectives qu’elles soient profanes ou religieuses. Ces rites de sang semblent banals, mais importants voir vitaux à certains égards.

Le sang dans la Bible, notamment l’Ancien Testament (AT) a un caractère sacré dans la mesure où il représente la vie. C’est un élément essentiel pour sceller une alliance à travers un sacrifice. En effet, le sang versé accompagne des paroles ou promesses pour en quelque sorte les cacheter : « Toutes ces paroles que le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique… Moïse prit le sang, en aspergea le peuple, et dit : “ voici le sang de l’Alliance que, sur la base de toutes ces paroles, le Seigneur a conclue avec vous”. » (Ex 24, 7-8) Dans certaines coutumes anciennes ou encore actuelles, l’on utilise son propre sang pour sceller une promesse. Tout cela illustre la sacralité du sang qui, dans l’AT, est un élément essentiel pour les sacrifices dans la mesure où c’est utilisé pour verser sur l’autel (Lv 1, 5.11 ; 9, 12). C’est également important dans les rituels d’expiation (Lv 17, 11) ainsi que de consécration des prêtres (Ex 29, 20-ss ; Lv 8, 23-30)[1]. »

Saint Paul évoque une autre dimension des rites du sang, notamment l’actualisation du caractère sacrificiel par le Christ qui pose un geste d’expiation des fautes de l’humanité « en répandant, non pas le sang de boucs et de jeunes taureaux, mais son propre sang. De cette manière, il a obtenu une libération définitive » (He 9, 12) de chacun d’entre nous. Voilà ce que l’on retrouve dans l’Écriture, l’expression « Sang de la Nouvelle alliance » (Mc 14, 24). La particularité de ce rite du sang repose dans le fait qu’il purifie plutôt la conscience humaine de tous les actes qui mènent à la mort et qu’il dispose la personne humaine à rendre un véritable culte au Dieu vivant (He 9, 14). Mais, en quoi le Christ actualise-t-il vraiment le sacrifice de l’AT ?

C’est au cours d’un repas que s’opère le sacrifice qui prend plutôt la dimension d’un échange, d’un don de chacune des parties. Voilà ce qui est au cœur du sacrifice eucharistique s’inscrivant ou prenant sa source directement dans la Cène du Seigneur. Dans le sacrifice de la messe, les fidèles apportent le pain (blé) et le vin (raisins), fruits de la terre et du travail humain. Aussi, dans bon nombre de traditions, l’on apporte des dons de diverses natures. Ces produits de la création sont offerts à Dieu au cours de l’eucharistie qui les reçoit et donne quelque chose en retour. Ainsi, dans la symbolique du pain et du vin, Dieu se donne dans les saintes espèces qui deviennent pour les fidèles son corps et son sang. C’est en ce sens que le Curé d’Ars affirmait : « lorsque Dieu voulut donner une nourriture à notre âme pour la soutenir dans le pèlerinage de la vie, il promena ses regards sur la création et ne trouva rien qui fût digne d’elle. Alors il se replia sur lui-même et résolut de se donner[2]. »

« Prenez, ceci est mon corps… Ceci est mon sang… » (Mc 14, 22.24) À chaque fois que nous posons ce geste dans le sacrifice eucharistique nous nous rappelons que ce fut l’ultime sacrifice du Christ pour toute l’humanité et surtout pour nous au moment où le prêtre reprend ces paroles. Autrement dit, cela s’opère à l’instant même et c’est pourquoi nous devons le vivre comme si c’était le premier et le dernier, comme un moment unique.

Par son sang, le Christ a tout scellé, une promesse de salut pour quiconque met sa foi en Dieu, accueille ses commandements et les met en pratique. Ce sacrifice est l’unique et les autres n’ont pas plus de raison d’être. Alors, comment pouvons-nous participer au sacrifice eucharistique et par la suite, aller offrir d’autres sacrifices sous bien de formes ? Certains immolent des bêtes voire des personnes humaines au cours de pratiques occultes comme l’illustrent certains trafics humains, d’organes, etc. D’autres érigent des autels sacrificiels sous le couvert de la culture, de monuments artistiques et voilent de ce fait des pratiques exotériques et divinatoires. On assiste aux rituels de sang par des sacrifices humains sur des autels du capitalisme ; de l’exploitation humaine par le travail ou encore le sacrifice de sa propre vie, de son temps ainsi que de celui de ses proches, de ses relations pour un bonheur passager, pour le pouvoir, pour la gloire, etc. Il n’y a qu’un seul sacrifice, un rite du sang qui soit libérateur et source de bonheur permanent, celui du Christ qui est actualisé à chaque sacrifice eucharistique. Il est là, dans le sacrement de son Amour. Il est là, celui qui nous aime tant. Il nous y attend jour et nuit, il est là, il est là ! Il attend d’y être honoré, loué, magnifié, adoré. Il est là, désirant libérer et relever chaque femme et chaque homme pour qu’à notre tour, nous puissions en faire de même vis-à-vis de notre prochain. En ce sens, l’Eucharistie doit nous ouvrir au monde, au prochain et non pas nous replier sur nous-mêmes. Le Corps et le Précieux Sang du Christ doivent ouvrir et tourner nos regards sur la beauté du monde, sur celle du prochain et en particulier sur sa dignité. L’eucharistie doit lever les barrières des divisions en nous révélant le Christ caché dans le prochain. Ainsi, si nous voulons honorer le Corps du Christ dans le Très Saint Sacrement, dans les saintes espèces, nous ne commençons pas par le mépriser quand il est nu, quand il est bafoué. Ne l’honorons pas, comme disait saint Jean Chrysostome, dans le pain eucharistique, exposé dans l’ostensoir sur l’autel ou dans le tabernacle pour le négliger dehors dans le prochain souffrant du froid, de la nudité, de la perte de toute dignité humaine.

Les rites de sang actuels n’ont plus de raison d’être, car le Christ, par le sang de la Nouvelle Alliance que l’Église actualise dans le sacrifice eucharistique, a scellé la promesse de Dieu envers l’humanité ; il y purifie nos consciences pour nous libérer de la mort éternelle. Par le fait même, il se donne à chaque femme, à chaque homme : « Prenez, ceci est mon corps… Ceci est mon sang… » (Mc 14, 22.24) Alors, honorons-le avec cohérence dans le « Sacrement du prochain » où il nous attend jour et nuit !

© Ab. Léandre Syrieix.

 

[1] Xavier Léon-Dufour, et coll., Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Éditions du Cerf, 1981, p.1192-1194.

[2] Bernard Nodet, Jean-Marie Vianney curé d’Ars, sa pensée, son cœur, Paris, Cerf, 2006, p. 117-118.


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