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La situation actuelle au Maroc et en Afrique du Nord
La question de l’immigration et de la situation de milliers de personnes en « situation irrégulière » demeure une préoccupation dramatique, notamment en Europe. Les récentes mesures prises par de nombreux pays européens pour stopper le flux massif des personnes en provenance d’Afrique et d’ailleurs a concouru à déplacer le problème de l’immigration clandestine et illégale sans toutefois le résoudre. Cela a engendré l’aggravation des maux comme la haine de l’étranger, l’indifférence, le racisme et même des pertes en vies humaines. On a pu le percevoir au Maroc il y a quelques semaines avec l’assassinat du jeune Ismaïla Faye, ainsi qu’avec la répression meurtrière des migrants subsahariens dans ce même pays.
Après Rosa Louise McCauley Parks, le cas Ismaïla Faye
Comment est-il possible qu’aujourd’hui, plusieurs décennies après l’abolition officielle du racisme, beaucoup de personnes à travers le monde, et particulièrement en Afrique en soient encore victimes ? Le refus d’Ismaïla Faye de céder sa place dans un transport à un jeune Marocain de “couleur blanche” ne rappelle-t-il pas l’événement du 1er décembre 1955 à Montgomery en Alabama, lorsque Rosa Louise McCauley Parks refusait de céder sa place à un passager de couleur blanche ? Ce jeune homme est décédé après avoir été poignardé par un autre jeune d’origine Marocaine, et cet acte traduit le sentiment de haine et de rejet des populations subsahariennes au Maroc ainsi que dans la plupart des pays du Maghreb. C’est une des conséquences des politiques de l’Union Européenne et de ses États membres qui, pour résoudre le problème des migrations clandestines aux côtes de l’U.E., pensent qu’il est efficace de mettre la pression sur les pays d’Afrique du Nord d’où s’organisent les différentes migrations illégales.
L’expression de la souffrance profonde d’une population à divers niveaux
Face à un tel drame, c’est le silence généralisé, c’est l’indifférence totale. Pendant que de nombreux Africains sont parqués dans des « camps de concentration » à travers les forêts Marocaines, dépossédés de leurs titres de voyage, victimes de maltraitance de la part des forces de l’ordre marocaines, la communauté internationale ne réagit pas. Loin de cautionner l’immigration clandestine, nous devons, par obligation morale nous pencher sur la question, car elle traduit un malaise profond dans lequel sont plongées plusieurs populations du monde. Elle est le reflet des maux dont souffre la plupart des populations africaines, mais aussi d’ailleurs à travers le globe : pauvreté, dictatures, oppressions, abus sous toutes les formes, exploitations, etc. Ces personnes qui risquent leurs vies pensent trouver un avenir meilleur en franchissant les portes de l’E.U. Peut-être que nous devons nous interroger sur les raisons qui poussent tant de jeunes à poser de tels actes. Peut-être que nous devons sortir de nos conforts quotidiens de pays occidentaux, de pays développés, et aller en périphérie à la rencontre de nos frères et sœurs souffrants. Peut-être que nous devons simplement nous réveiller et briser le silence qui sévit face à la globalisation de l’indifférence, détruisant ainsi les relations humaines, éloignant les hommes et femmes des préoccupations de notre temps.
Pourquoi une telle indifférence ?
Nos sociétés sont de plus en plus individualistes et renfermées sur elles-mêmes. Le slogan à la mode actuellement c’est la recherche du profit coûte que coûte. Les relations humaines sont conditionnées par le capitalisme et l’Autre, c’est-à-dire le prochain, devient un ennemi qu’il faut écarter, voire éliminer. De plus en plus, les jeunes ne sont plus éduqués avec des valeurs tels que l’attention aux autres, la gratuité, le bénévolat, etc. Les jeunes sont orientés dans leurs études universitaires dans des filières qui leur permettront d’obtenir une bonne carrière professionnelle, de gagner le maximum d’argent en vue de posséder tout ce qui est en vogue. Rares sont les jeunes qui s’orientent dans leurs domaines d’études en fonction de leurs passions. Nous avons davantage perdu la passion des choses. Ainsi, l’orientation professionnelle n’est plus considérée comme la réponse à une vocation. Nous ne devons pourtant pas nous livrer à l’amour de l’argent ; mais plutôt nous contenter de ce que vous avons ; « car Dieu lui-même a dit : je ne te délaisserai point, et je ne t’abandonnerai point » (Hb 13,5). Triste est donc de constater notre recherche de l’argent et des biens matériels nous déconnectent de la situation que vivent nos frères et sœurs à travers le monde. Nous habitons « au milieu d’une famille de rebelles, qui ont des yeux pour voir et qui ne voient point, des oreilles pour entendre et qui n’entendent point ; car c’est une famille de rebelles » (Ez 12,2), c’est la famille que forme l’ensemble des sociétés capitalistes et individualistes à laquelle nous appartenons.
Le rapport au matériel est complètement transformé, c’est l’humain qui en devient esclave. « Nul n’est intelligent, nul ne cherche Dieu » (Rm 3,11), mais tous nous cherchons la gloire et le matériel. Le matériel n’est plus là au service de l’humain, mais l’inverse. Les relations humaines ne sont plus collectives, communautaires, mais de plus en plus individuelles.
Engagement ou indifférence ?
Il est tout à fait légitime que la population marocaine et celle de tous les autres États qui font face au problème de l’immigration illégale se questionnent, qu’elles soient préoccupées face à un tel flux de migrants. Cependant, elle ne doit pas se laisser dérouter ou endoctriner par des discours politiques, xénophobes, racistes, etc., car le nazisme, ne l’oublions jamais, a pris le pouvoir de façon démocratique au XXe siècle. Des solutions sont possibles et la jeunesse marocaine doit se réveiller de son indifférence, tout comme toute la communauté internationale et en premier la communauté Européenne. Nous devons nous engager par tous les moyens à la lutte contre la globalisation de l’indifférence qui a pris de l’ampleur partout dans le monde.
Nous sommes tous frères et toutes sœurs, car ne l’oublions pas, nous sommes ici bas des gestionnaires et non des propriétaires (Gn 1,28). Nous sommes frères et sœurs parce que nous entendons la Parole de Dieu et la mettons en pratique (Lc 8,21) à travers notre Non à la globalisation de l’indifférence, à travers tous nos engagements dans nos milieux associatifs, à travers les réseaux sociaux, etc., pour dénoncer des drames comme le racisme, l’assassinat d’Ismaïla Faye. Celui qui accueille son prochain comme un petit enfant, c’est le Christ qu’il accueille (Lc 9,48). En effet, nous sommes tous faits à l’image du créateur (Gn 1,26) peut importe notre couleur de peau, nos origines, etc., et « Il n’importe donc plus que l’on soit juif ou non-juif (noir ou blanc), esclave ou libre, homme ou femme ; en effet, nous sommes tous un dans la communion avec Jésus-Christ » (Ga 3,28). Et comment pouvons-nous demeurer dans l’indifférence après ce lien fort qui nous unit ? Nous aurons tous à répondre de nos « silences », de nos indifférences, de nos refus de lutter contre les injustices. Nous aurons à répondre de notre participation à la globalisation de l’indifférence qui est un blasphème, un véritable mépris du genre humain.
L’engagement auquel nous sommes tous appelés consiste à être dans le monde sans être du monde, car nous ne devons « point aimer le monde ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui » (1 Jn 2,15). Cet engagement consiste à lutter contre la globalisation de l’indifférence en dénonçant tout ce qui l’encourage, en nous ouvrant davantage à l’Autre sans avoir peur de la différence qui est au contraire une richesse et non une tare. L’engagement à lutter contre la globalisation de l’indifférence doit nous renvoyer à nous-mêmes et à nos rapports avec les autres. Partout où l’homme souffre, nous devons tourner les projecteurs afin que naissent des chaines de solidarités. Nous ne devons pas être dans le monde comme « ceux qui usent du monde comme n’en usant pas, car la figure de ce monde passe » (1Co 7,31). Nous sommes de passage dans ce monde, et dans cette traversée, tâchons de laisser des traces, des reflets de l’invisible, car nous avons été faits à son image. Et comme disait Martin Luther King :
Si votre mission est d’être balayeur de rue, vous devez balayer les rues dans le même esprit que Michel-Ange lorsqu’il peignait ses toiles, que Beethoven lorsqu’il composait ses symphonies, que Shakespeare lorsqu’il écrivait ses drames. Vous devez balayer les rues d’une façon tellement parfaite que chaque passant puisse dire : « Ici, c’est un grand balayeur qui a travaillé ; il a bien accompli sa tâche! »
Ainsi, que toutes les personnes qui sont des gens de pouvoir, des gens en charge de la gouvernance des peuples et de l’éducation de la jeunesse, des gens en charge de leurs familles telles les parents, tachent de bien remplir leurs responsabilités et d’inculquer à leurs bénéficiaires des valeurs autres que l’indifférence de sorte que l’on se souvienne après des générations que nous sommes un peuple de Frères et de sœurs. Il est plus qu’urgent que nous cessions de faire circuler dans les médias et réseaux sociaux une culture de la banalisation des valeurs primaires et inhérentes à notre bien-être en société comme l’Amour, la Fraternité, etc. ; mais aussi que nous arrêtions de véhiculer des mœurs telles la « culture de l’avoir » et de l’individualisme, la « culture de l’immédiat », la culture de la soif du pouvoir, la culture de la désacralisation du genre humain, la culture du rejet de Dieu du monde qu’il a créé sous diverses formes de sécularisations que nous connaissons aujourd’hui selon les milieux.
Que notre attitude, notre témoignage de vie soit un exemple dans le monde pour réveiller les consciences face à globalisation de l’indifférence. Que nous exhortions toutes les personnes qui possèdent trop (tant au plan matériel qu’intellectuel) à partager. Que nous recommandions aux « nouveaux riches », aux « riches du présent siècle de ne pas être orgueilleux, et de ne pas mettre leur espérance dans des richesses incertaines, mais de la mettre en Dieu, qui nous donne avec abondance toutes choses pour que nous en jouissions » (1 Ti 6,17). Mais que cette recommandation s’adresse également aux entreprises, aux industries, aux politiques, à tous ceux et celles qui ont en charge la gouvernance des peuples, aux personnes de bonne volonté, etc. Que notre engagement dans le monde contre la globalisation de l’indifférence concoure à secourir nos Frères et Sœurs dans le besoin, à sauver un grand nombre de personnes qui font encore obstacle aux différentes formes d’engagements « en les arrachant du feu ; et pour d’autres encore, ayons une pitié mêlée de crainte, haïssant jusqu’à la tunique tachée par leur chair » (Ju 1,23).
© Léandre Syrieix.
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