« Aimer, Souffrir, Aimer »
« Gérard Raymond, étudiant au Séminaire de Québec, est mort d’une hémorragie pulmonaire, le 5 juillet 1932, à l’âge de vingt ans. Sa vie fut apparemment celle d’un adolescent simplement fidèle à son devoir de chaque jour, mais son Journal intime, écrit avec un abandon charmant, nous révèle une rare union à Notre Seigneur, qui grandit jusqu’au désir du martyre. Gérard Raymond, donné en exemple à la jeunesse du Canada, mérite d’être connu en dehors de son pays: son exemple sera pour beaucoup une lumière et une force ». (Père Réginald Garrigou-Lagrange, O.P.)
A partir de l’âge de 15 ans, suivant l’exemple de Paul Emile Lavallée, dont il lisait la vie, Gérard Raymond entreprend d’écrire un petit journal. C’est dans ces écrits tout simples que nous puiserons largement au cours des lignes suivantes. Pourquoi Gérard a-t-il écrit un journal? Il nous donne lui-même la réponse: « Il faut que j’écrive chaque jour pour m’apercevoir des progrès ou des reculs que je fais, pour renouveler mes résolutions, pour acquérir de la volonté; j’en ai besoin…. Je sais bien que mon ennemi voudrait l’éloigner de ce Journal qui me force à réfléchir…. Mr Nadeau approuve mon journal. Ce journal, ô mon Dieu, je veux qu’il soit un long colloque avec Vous, où je Vous dirai mes peines et mes joies, et où je reviendrai me retremper dans les jours où ma ferveur faiblira… Je Vous remercie des grâces innombrables que Vous m’avez accordées depuis que je l’ai commencé. Je Vous l’offre avec tout ce que je possède pour Votre plus grande gloire ».
Gérard n’a donc pas écrit pour les autres, pour être lu, et cet éléments contribue à faire le charme de ses notes. Il écrit le plus simplement du monde. Ses phrases, tout en nous parlant des choses ordinaires, nous livrent le secret d’une âme vraiment admirable. Son grand amour de Dieu, Gérard l’a alimenté au foyer par excellence: la Sainte Eucharistie. Sa Foi en la Présence réelle de Jésus au Tabernacle était profonde. Voici la résolution qu’il avait prise avec un de ses compagnons de classe: « Chaque fois que nous passerons devant une église, nous entrerons une minute visiter Jésus. Quoi de plus logique d’ailleurs? Jésus est là, notre meilleur Ami. Le plus souvent Il est seul. Il nous invite à entrer, pourquoi refuser? Certains gens pourrons nous traiter de fous. Soit! Jamais nous ne pourrons porter cette folie plus loin que celle de Jésus qui a voulu Se cacher dans l’Hostie pour toujours, s’exposer à l’indifférence, aux mépris, aux outrages. Nous aurons beau rivaliser d’amour avec Lui, jamais nous ne pourrons L’égaliser ».
Aller à Jésus par Marie: l’enfant avait appris de sa mère ce grand secret: on trouve souvent dans ses cahiers les invocations suivantes: Marie Médiatrice, Notre Dame du Rosaire! O ma Mère! C’est grâce à cette piété eucharistique et mariale qu’il a pu passer à travers la vie sans souiller sérieusement son âme. C’est lui-même qui l’indique ingénument dans ses notes de retraite fermée, à la fin de sa première année de philosophie: « Je n’ai pas trouvé dans mon passé de péché grave. Je sais que cela vient de Vous, ô Jésus, de Vous seul. Moi, de moi-même, je ne suis que néant, je ne suis rien, je ne suis capable que du mal, rempli de faiblesses et d’ingratitude, toujours prêt à m’élever au-dessus des autres avec orgueil. J’ai peur, ô Jésus, de la vanité sotte. Apprenez-moi à être doux et humble de cœur ». Le 23 décembre 1927, alors qu’il commençait sa troisième au Séminaire, il écrit: « Si un jour je parviens à ce que j’aspire, si je deviens un prêtre du Bon Dieu, oh! En ce jour que ma prière sera ardente, avec quelle ferveur je remercierai Dieu de m’avoir donné une si bonne mère. J’espère gravir les marches de l’autel, et même le soupçonnez-vous?…. je désire être missionnaire pour étendre le règne de Jésus-Christ parmi les infidèles qui vivent dans le paganisme ».
Le jeudi 23 février 1928, lendemain du Mercredi des Cendres, il nous fait part de ses réflexions et de son programme pour le Carême: « Voilà le Carême commencé… Pour ma part, ne jeûnant pas, je dois faire des sacrifices dans mes habitudes, mon manger et tous mes actes. Le sucre va disparaître pour moi; je tâcherai de ne plus manquer la Messe et surtout de la bien entendre. Le nombre de mes visites au Saint Sacrement augmentera. Meilleurs seront mes devoirs, mieux apprises mes leçons, enfin je ferai tout mon possible pour plaire à Jésus en me mortifiant ». Il était élève de Seconde au Séminaire, quand il écrivit cette résolution le 13 janvier 1929: « Hélas! Je n’ai pas à m’enorgueillir de ma perfection. J’en suis encore très loin, il me reste du gros travail à faire. Le plus dur sera de mettre à terre ma volonté, de l’arracher par lambeaux, de la fouler aux pieds. Il sera dur aussi se devenir humble parfaitement ». Vigilant contre l’orgueil, il ne se laisse pas emporter par ses succès scolaire. Le 11 mars 1929 il écrit: « Au milieu des succès, ce grade d’académicien, ces trois derniers concours où je me suis classé en premier, c’est le temps de faire taire l’orgueil, car il élève la voix! Je n’ai qu’à considérer ma petitesse vis-à-vis de l’Immensité de Dieu pour laisser là toute pensée orgueilleuse. Tout ce que je possède, je ne le possède pas; on me l’a prêté. Et ce talent que je possède, ou plutôt que Dieu m’a prêté, je dois le faire fructifier le plus possible, sinon je manque à mon devoir. Que d’autres considérations peuvent encore me faire baisser la tête! »
Le jeune homme de 17 ans se révèle davantage dans cette admirable prière du 26 juin 1929: « O mon Dieu, je veux Vous aimer de tout mon cœur. Faites-moi chérir la souffrance cachée. Faites que je sois passionné de faire Votre Sainte Volonté. O Jésus que je sois petit aux yeux du monde et grand à vos yeux ». A la fin des vacances de cette année-là, Gérard écrit à son Directeur un compte-rendu des activités et des aspirations des mois passés. En voici quelques extraits: « Durant mes vacances, je n’ai pas cessé de penser à ma vocation…. Il y a quelques années, en lisant une revue des Pères Blancs, l’idée me vint de devenir missionnaire, moi aussi. Lais plus tard (après avoir lu un article dans l’Almanach Franciscain, un livre par Saint François de Sales et l’autobiographie de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus) je rêvais d’une vie cachée, cloîtrée, humble, loin du monde où, tout à Jésus, je ferai le travail de ma sanctification, comme Dieu même me le conseillait dans toutes mes lectures. Je choisis alors d’être Franciscain. Mes rêves de missionnaire seraient en même temps réalisés puisque les Franciscains vont en missions païennes… Où pourrai-je mieux satisfaire mes rêves d’abaissement t de mépris?…. »
Prêtre, missionnaire Franciscain, plus que cela, Gérard veut verser son sang pour les âmes, il veut être martyr. Le 4 octobre 193, après une conférence du Père Doncœur, à l’Université Laval, au cours de laquelle l’éminent Jésuite avait parlé aux jeunes de l’importance de vivre totalement ses croyances, Gérard consigne ses réflexions: « Moi aussi, je veux pratiquer ce Christianisme intégral. Moi aussi, je veux placer la Croix au-dessus de toute réalisation, je veux embrasser la Croix, avec le Séraphique Père François dont l’Eglise célèbre aujourd’hui la Fête. Moi aussi, je veux profiter de ma jeunesse pour concevoir de grandes choses avec Foi, avec enthousiasme, pour pouvoir les réaliser au moins un peu… Comme idéal, être un Saint, dans toute la force du mot, avec tout ce que réclame la Sainteté. Tout pour Jésus. Mon Dieu et mon tout. Saint François, priez pour moi. Jésus, aidez-moi ». Le 13 novembre, il confirme sa résolution: « J’ai bien médité, j’ai parlé au Bon Dieu. Le crucifiement de Notre Seigneur m’a fait réfléchir. J’ai pensé que Notre Seigneur s’était laissé enfoncer les clous dans les mains et dans les pieds sans mot dire. Et moi, je ne pourrais souffrir que l’on touche ma susceptibilité, que l’on enfonce le moindre petit clou? Et j’ai pris la résolution de tout souffrir patiemment (…) Oui ô Jésus, aujourd’hui encore je recommence. Je sais que tout seul je ne puis rien. Mais avec Vous, j’ai confiance en Vous, en Votre Bonté, en Votre Miséricorde, Votre Amour. Vous voulez m’attirer à Vous sur Votre Cœur, faire de moi un Saint: faites! Je veux Vous laisser agir par n’importe quel moyen. Je veux Vous aimer toujours ».
C’est au milieu de ces préoccupations de Sainteté et de dévouement pour la Foi que le terrible mal qui venait l’emporter est venu le chercher. Le jeune homme était atteint de la tuberculose pulmonaire. Progressant lentement, le mal ne faisait tout d’abord que l’affaiblir. C’était pour lui des occasions de pratiquer la résignation, et avec quelle ferveur il acceptait la souffrance! « Vers le soir, écrit-il le 26 juin 1930, je me suis blessé: j’ai marché sur un clou. Et ce matin je suis incapable de marcher. Hier au soir, la douleur m’a gardé longtemps éveillé, Dieu soit béni! Aujourd’hui je suis donc malade, ce qui ne m’arrive pas souvent: Dieu soit béni! Il m’est si peu souvent donné l’occasion de souffrir, je dois accueillir avec joie et empressement cette occasion qui se présente. Quand la douleur est trop forte et que je veux me réveiller, je regarde mon Crucifix ». Le 11 septembre 1930, au lendemain de l’ouverture de la Retraite, il écrit: « O Jésus, je veux Vous ressembler davantage. Je veux passer ma vie à travailler pour sculpter Votre Image en moi. Dans l’Ordre Franciscain surtout, si c’est là que Vous m’appelez, je tâcherai de Vous ressembler. Comme Vous, je veux souffrir et mourir, après avoir vécu dans la pauvreté, l’humilité et la chasteté. Mon rêve Vous le connaissez, ô Jésus. C’est de pouvoir, un jour, Vous ressembler complètement, si possible, en versant comme Vous mon sang pour les pécheurs. Accordez-moi, je Vous en prie, la grâce du martyre. Pour aujourd’hui, je m’offre à Vous en victime pour mes quelques confrères qui ne veulent pas faire une bonne Retraite. Pour eux mes sacrifices. Bénissez-moi et faites que ma Retraite soit bonne et fructueuse ». On ne peut qu’admirer les préoccupations apostoliques bien réelles de ce grand cœur.
Le lendemain, le 12 septembre, il reprend avec autant d’ardeur: « Depuis quelques temps, je sens continuellement un malaise dans le corps, du côté droit. Appendicite? Je ne sais pas. Mais ce mal est bien tenace. Comme Vous voudrez, ô mon Dieu, faites de moi ce qu’Il vous plaira. J’accepte avec joie la souffrance que Vous m’envoyez, aggravez-la si Vous le voulez ou faites-la disparaître. Je me livre à Vous tout entier, jusqu’au bout. Vous savez que certains de mes confrères ne font pas leur Retraite, ceux-là surtout je Vous recommande si souvent. Je Vous en prie, ô Jésus, sauvez-les. A l’occasion de cette Retraite, attire-les à Vous. S’ils Vous fuient, ils ne savent pas ce qu’ils font, sauvez-les donc malgré eux. Vous êtes si puissant. S’il Vous faut quelqu’un pour souffrir à leur place, pour expier, me voici, je suis prêt jusqu’au bout. (…) O Jésus, j’ose à peine formuler ce désir, recevez-le s’il Vous plait comme un témoignage de mon amour. Si Vous voulez, je suis prêt. Je Vous offre ma vie, je Vous sacrifie ma vie avec mes espoirs de Sacerdoce et de martyrs pour qu’en échange, de tous les élèves qui suivent avec moi cette Retraite, aucun, aucun ne soit perdu éternellement. Pour que tous Vous aiment et travaillent à l’extension de Votre Règne sur cette terre ». Et encore le 14, jour de la clôture de la Retraite, il supplie encore pour la conversion de certains confrères: « Vous n’avez pas pour aujourd’hui accepté mon offrande, ce sera donc pour une autre fois. Mais, ô Jésus, si vraiment quelques confrères n’était pas encore avec Vous, je Vous priez, acceptez mon offrande; ou bien, accordez-moi de souffrir toute ma vie, et recevez mes souffrances unies aux Vôtres pour cette même fin ».
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Waoh! quelle vie!
que le seigneur soit béni pour cet amour
et qu’Il nous accorde la grâce de l’aimer à notre tour coe
ce grand homme Gérard Raymond