Comment suis-je prophète ?

[:fr]Photo : AELF[:]

Ez 2, 2-5 – Ps 22 (23) – 2 Co 12, 7-10 – Mc 6, 1-6

Célébration de la Parole (Vélo-LiturGym) : 14e dimanche du Temps Ordinaire (B)

 

Le prophétisme est au cœur des textes de la liturgie de ce dimanche. Deux dimensions en sont présentées, celui de l’Ancien Testament (AT) et du Nouveau Testament (NT). Quelles sont-elles ? Et comment suis-je prophète aujourd’hui au cœur de ma réalité humaine, de mes occupations

« Prophète » vient du latin propheta emprunté au grec prohètès et signifie celui qui dit un oracle ou qui possède une connaissance « en étroite relation avec la divinisation.[1] » Dans la Bible, notamment l’AT on remarque que la personne qui prophétise est voyante, visionnaire ou « homme » de Dieu. Mais quoi qu’il en soit, elle parle au nom de quelqu’un d’autre comme c’est le cas chez Ézékiel : « En ces jours-là, l’esprit vint en moi et me fit tenir debout […] Il me dit […] Ainsi parle le Seigneur Dieu… » (Ez 2, 2-4). On retrouvera quelquefois d’autres formules comme : « oracle du Seigneur », « Parole du Seigneur », etc. Par ailleurs, la personne en charge de la prophétie n’est que médiatrice. Dans cet extrait d’Ézékiel, nous pouvons voir que l’Esprit meut, il met en mouvement. Il y a par la suite une réponse, une attitude : «  [il] me fit tenir debout […] j’écoutais […] » (Ez 2, 2).

La personne qui prophétise n’est pas à son propre service dans la mesure où elle transmet le message d’un autre, elle est au service du « Tout-autre » et cela nécessite beaucoup d’humilité, une vertu à cultiver comme nous le montre saint Paul : « Les révélations que j’ai reçues sont tellement extraordinaires que, pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde […] pour empêcher que je me surestime. » (2 Co 12, 7-8) Ainsi, les personnes choisies ou ayant pour rôle de prophétiser courent un grand danger, celui de se surestimer, de détourner le message ou encore de « se prendre pour d’autres » voire d’utiliser leurs charismes pour leur propre gloire. Or, les charismes et les dons de l’Esprit sont donnés aux humains pour le bien de toute l’humanité. Par contre, cette charge demande de nombreux sacrifices tels que mentionnés par saint Paul, par exemple accepter « de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. » (2 Co 12, 9-10) Voilà le sens du prophétisme dans le NT. En effet, Paul imite le Christ qui, comme un prophète méprisé sans son propre pays (Mc 6, 5), a accepté toutes les humiliations jusqu’à la mort sur la croix.

Dans l’histoire religieuse biblique, la personne qui prophétise a également un rôle important dans la société en ce sens qu’elle critique les manières de faire sur divers plans : politique, économique, moral, etc. Elle est envoyée pour dénoncer des situations qui vont en l’encontre des préceptes divins. Cette dimension du prophétisme présente un certain risque, celui d’être en fin de compte « prophète de malheur » comme l’indiquait le pape Jean XXIII dans son discours d’ouverture du Concile :

Il arrive souvent que dans l’exercice quotidien de Notre ministère apostolique Nos oreilles soient offensées en apprenant ce que disent certains qui, bien qu’enflammés de zèle religieux, manquent de justesse de jugement et de pondération dans leur façon de voir les choses. Dans la situation actuelle de la société, ils ne voient que ruines et calamités ; ils ont coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux siècles passés ; ils se conduisent comme si l’histoire, qui est maîtresse de vie, n’avait rien à leur apprendre et comme si du temps des Conciles d’autrefois tout était parfait en ce qui concerne la doctrine chrétienne, les mœurs et la juste liberté de l’Église[2].

Est-ce que cette façon de faire de certaines personnes prophétisant n’est pas toujours d’actualité ? N’est-ce pas par exemple le regard que je porte quelquefois sur la société actuelle ? Ne tiens-je pas aussi souvent des propos durs à l’égard de la société ou de certains systèmes politico-économiques actuels voire sur la société de manière globale ? Et lorsque je le fais, est-ce que je ne m’exclus pas moi-même de cette société ? Et lorsque je pose un tel geste, est-ce que je ne me prends pas « pour un autre » comme mentionné précédemment ?

De toute évidence, marcher à la suite du Christ comme chrétiens et chrétiennes fait de nous des « prophètes » dans la mesure où il nous envoie au cœur du monde comme des brebis au milieu des loups (Mt 10, 16) pour annoncer un message de Salut (Mc 16, 15-18). Il ne nous envoie donc pas dans ce monde pour le condamner ou le juger, mais pour le critiquer à la manière des prophètes tout en l’aimant comme le Christ, c’est-à-dire en acceptant les humiliations, les rejets. En ce sens, devrions-nous continuer à nous plaindre du rejet dont fait face le catholicisme actuellement dans notre société ? Devrions-nous lancer des croisades contre toutes les oppositions envers l’enseignement de l’Église ? Le Christ nous propose une attitude : « Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains […] Alors [Il] parcourait des villages d’alentour en enseignant. » (Mc 6, 5-6) On voit donc que le Christ ne faisait pas du prosélytisme et ne forçait non plus ses interlocuteurs à croire. Il s’est contenté de proposer en toute liberté le chemin vers la Vérité et la Vie (Jn 14, 6).

Alors, comment suis-je prophète actuellement ? Est-ce en me surestimant ou en « me prenant pour un autre » ? Est-ce comme « prophète de malheurs » à travers mon regard sur la société dans laquelle je vis ? Est-ce en mettant ma fierté dans mes faiblesses tout en acceptant d’être rejeté ? Est-ce dans l’attitude de Marie qui, la première, se mit en route et qui médite la plupart des évènements dans son cœur ?

© Léandre Syrieix.

[1] Jean-Yves Lacoste et Olivier Riaudel, Dictionnaire critique de théologie, Paris, Quadrige/PUF, 2007, p. 1135.

[2] Vatican II, Les seize documents conciliaires. Texte intégral, Montréal & Paris, Fides, 1966, p. 584.

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