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Le Pardon, une réalité inhumaine[1]
L’être humain n’est pas uniquement matière, il est aussi immatériel dans la mesure où le mystère fait partie de son essence. Ainsi, le mystère entendu comme le silence qui jalonne la vie humaine demeure inaccessible tant que la conception purement matérialiste et physique est mise au premier plan. C’est dans ce contexte que s’inscrit également le Pardon.
Dans une situation où il y a eu offense, il est souvent courant d’entendre dire : « J’ai pardonné, mais je n’oublie pas » ou encore « Je ne peux pas pardonner, car c’est au-delà de mes forces. » Ces deux réactions ne sont pas exhaustives. Elles sont toutes légitimes du point de vue de la personne qui a été offensée. Toutefois, elles ne reflètent pas le véritable sens du Pardon. De toute évidence, le Pardon est ici limité à la seule capacité humaine, ce qui est une erreur dans une telle conception, car le Pardon est quelque chose de surnaturel, d’inhumain, qui dépasse notre entendement, qui est du même ordre que l’Amour. Qui peut expliquer ce qu’est l’Amour ? D’où vient l’Amour ? Quel est son fonctionnement ? Comment se fait-il que nous soyons portés à aimer telle personne ou telle chose plus qu’une autre, d’aimer à un tel moment plus qu’à un autre, etc. ? De manière plus concrète, qui peut expliquer l’amour d’une mère pour son enfant ? Répondre à toutes ces questions au sujet de l’Amour revient à dire davantage sur le Pardon, or cela est impossible du point de vue purement humain.
Le Pardon comme l’Amour est un Don, et de ce fait, ce n’est plus uniquement une réalité humaine, mais inhumaine. L’étymologie de ce terme nous dit davantage sur son sens. Considérant le verbe Pardonner, son équivalent Latin est Perdonare dans lequel nous avons le préfixe « per — » dont la fonction est celle de l’intensification du sens, et le verbe « donare » (dono, avi, atum, are (atum)) qui veut dire « faire don », donner. Ainsi, dans l’acte de Pardonner il y a l’intensification du Don, de la gratuité, et dans le sens chrétien nous dirons qu’il y a l’intensification de l’Amour. C’est cela que révèle l’appel du Christ à Pardonner sans cesse, sans limites puisque l’Amour est intarissable : « Alors Pierre s’approcha de lui, et dit : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ? Jésus lui dit : Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à septante fois sept fois. » (Mt 18, 21-22)
Il apparaît alors clairement que pardonner sans oublier ce n’est pas véritablement le Pardon, car il n’y a pas de « Don total » : « L’homme qui a de la sagesse est lent à la colère, et il met sa gloire à oublier les offenses. » (Pr 19 : 11) Aussi, le Père atteste lui-même ne plus se souvenir de nos fautes : « Car je pardonnerai leur iniquité, je ne me souviendrai plus de leur péché. » (Jr 31 : 34) On réalise de fait que le Pardon est surnaturel et dépasse notre entendement, que c’est une grâce à demander à Dieu tout comme l’Amour. Ainsi, il n’est pas possible de Pardonner ou de « faire don » sans Aimer. L’Amour précède le Pardon, les deux sont consubstantiels, de même nature. Sinon, comment est-il possible de donner quelque chose dont on n’a pas la possession ? Pardonner c’est alors « faire don » de ce que l’on possède : l’Amour. Et l’on ne peut posséder que ce dont on a soi-même reçu gratuitement. Pardonner du seul point de vue humain est « impossible », mais « possible » du point de vue inhumain.
Lorsqu’il y a eu offense, le Pardon n’est plus une montagne ni quelque chose d’insurmontable dans la mesure où il est entendu comme surnaturel et ne dépendant pas de nous. En ce sens, Pardonner n’est possible que si l’on se sait pardonné en premier, car c’est cela posséder le Pardon à donner. Si l’on n’est point pardonné soi-même, comment pourrait-on pardonner ? D’aucuns diront qu’ils n’ont rien à se faire pardonner, mais il ne s’agit pas de cela puisque toute l’humanité est pardonnée sur la Croix, à travers l’acte de rédemption du Christ : « Jésus dit : Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font… » (Lc 23 : 34) Alors, prendre conscience de cet acte d’Amour du Père, d’être déjà pardonné fait que nous possédons dès lors, comme chrétiens, quelque chose à « faire don » : Le Pardon. Toutefois, c’est une grâce à demander et à entretenir, c’est une flamme à maintenir constamment allumée dans la vie chrétienne, à quémander sans cesse au Père afin qu’elle se renouvelle pour que Le Pardon ne soit plus limité à un concept, à une théorie, etc., mais soit partie intégrante de la vie chrétienne, moteur des relations humaines, source de Paix et de Joie.
En somme, l’humain n’est pas capable de Pardonner de ses propres forces puisque cela est impossible. Le Pardon relève du « surnaturel » et n’est possible que si l’humain est dans cette posture, que s’il recourt au surnaturel, à celui qui est l’origine de l’Amour même sans lequel ce Pardon demeure irréalisable : Dieu. Le Pardon relève alors de la puissance de Dieu du point de vue surnaturel, et de la volonté humaine du point de vue de notre nature. Alors, poser des gestes de Pardon au quotidien fait de nous des imitateurs de Dieu, nous rend déjà participant de la vie Bienheureuse avec le Père : « … Vous pardonnant réciproquement, comme Dieu vous a pardonné en Christ. Devenez donc les imitateurs de Dieu… » (Ep 4 : 32 – 5 : 1)
© Léandre Syrieix.
[1] Dans le sens d’être « au dessus des forces humaines. »
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