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Qu’est-ce que l’Amour ? Voilà une question existentielle à laquelle je bute à chaque fois que je crois Aimer, ou à chaque fois que je vis une douleur intérieure dont je ne puis vraiment nommer. Je parle de cette douleur qui me tient par les entrailles, qui fait tellement mal et dont je ne puis dire à quel endroit cela fait incontestablement mal ; qui saigne, pourtant je ne vois pas de sang ; qui est présente alors que je ne perçois aucun signe ; qui me consume sans toutefois laisser apparaître de flammes ou cendres. Une chose est certaine, cette douleur me tétanise vu que mon corps est tout raide comme je peux le sentir à travers les tremblements de mes jambes, de mes bras, etc. Elle me remue au plus profond de mes entrailles, car toutes les larmes de mon corps coulent. Pourtant, si l’on me demandait présentement pourquoi je pleure, dirais-je que c’est parce que « je souffre d’Aimer » ? Je passerai sans doute pour un « dérangé ». Dirai-je que c’est parce que je me suis fait mal quelque part dans mon corps ? Si oui, où exactement ? Répondrai-je que cela vient du cœur ? Je passerai également pour un « dérangé ». Alors, je me dis à moi-même, souffre en douceur, dans le calme, dans l’anonymat, à l’abri des regards ou de tout questionnement qui pourrait t’amener à expliquer au risque de paraître pour un « dérangé ».
De fait, pourquoi l’Amour me fait-il mal dans le cas présent ? Je pense que c’est parce que je crois Aimer sans l’être en retour. Dirai-je plutôt que c’est parce que je ne reçois pas la réponse ou l’attitude que j’espérai avoir ? Il semble que « l’Amour est Patient ». Devrai-je alors dire que je manque de patience ? Ça fait pourtant un moment que cette situation dure, donc j’ai été patient ! Ne suis-je de ce fait pas suffisamment patient ? Si tel est le cas, je conclurai alors que ce n’est pas l’Amour. Puisque je suis convaincu d’Aimer, devrai-je alors continuer à faire preuve de patience ? Qu’est-ce que la patience ? Ai-je la force de persévérer ? Pourquoi continuer ? Voilà tant de questions qui m’habitent. Plus je cogite, plus je me pose des questions à l’infini. Ne devrai-je pas simplement passer de la tête au cœur et du cœur aux mains, c’est-à-dire à l’action ? Il me semble que j’ai déjà fait cet exercice et j’arrive à la même conclusion : « j’Aime et je souffre ». Même si la souffrance fait partie de l’existence humaine, je ne suis pas confortable dans mon état actuel alors qu’elle me consume. Je ne la recherche guère, car je ne suis point masochiste. En même temps, je ne l’évite pas non plus puisqu’elle s’invite sans préavis et me met au pied du mûr. Je n’ai pas le choix de lui faire face et d’avancer. Si j’avais le pouvoir de la tenir loin de moi, je l’aurai fait, mais je sens toute mon impuissance et je me résous à l’accueillir. En effet, si je ne l’embrasse pas, si je ne l’apprivoise pas, je ne pourrai jamais véritablement Aimer, car l’une entraine l’autre : voilà une prise de conscience à laquelle je me résous. Ma patience n’a-t-elle pas de limite ? Jusqu’où devrai-je aller ? Plutôt, quelles sont mes limites ?
Il semble que « l’Amour est bonté ». Alors, si j’arrête de persévérer, si je fais preuve d’impatience, est-ce que cela signifie que je ne rends ni service à l’autre ni à moi-même ? Qu’est-ce que cela signifie : « l’Amour est bonté » ? Peut-être c’est une invitation à vouloir le bien de l’autre ; sans doute en admettant d’être déçu par sa réponse ou son silence, en acceptant d’Aimer l’autre de manière gratuite ; en permettant que l’autre soit bien dans sa décision et suive sa voie. Maintenant que j’y pense, cela a du sens, mais je ne suis pas encore résolu à le faire dans la mesure où je sens mon impuissance et prends conscience de mon malaise.
Il semble que « l’Amour n’est pas envieux ». Pourtant, ma situation me pousse à envier ces personnes qui s’avèrent s’Aimer de manière réciproque. Aussi, je me rends compte que j’envie l’autre de ne pas être dans ma situation ; de ne pas se poser une multitude de questions ; de ne pas avoir l’impression d’être comme un corps inerte ; de sembler avoir une aisance dans son choix ; d’être extérieur à ce sentiment profond qui m’habite ou à l’état dans lequel je suis immergé.
Il semble finalement qu’« il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. » J’ai l’impression qu’une telle affirmation au sujet de l’Amour n’est qu’utopie. En effet, je n’arrive pas à supporter cette souffrance d’Aimer qui ne semble pas passer ; j’ai de la peine à supporter l’autre dans sa décision et à accepter la présente situation. Que puis-je encore espérer dans une telle situation ? Dois-je risquer à continuer d’Aimer dans le silence, dans le sentiment de ne point être considéré par l’autre, dans l’anonymat, parfois dans l’ignorance, etc. ? Pourquoi endurer cela ? Quand bien même j’aurai pris la décision de lâcher prise et de m’abandonner, comment pourrai-je endurer tout ? Toutefois, j’ai le sentiment du plus profond de mon être qu’il y a quelque chose de plus grand et de plus beau, une force qui peut me donner le courage de continuer à Aimer. Il y a comme une Espérance qui maintient cette flamme de l’Amour allumée malgré tout, au-delà de toute la douleur endurée ou de la souffrance dans laquelle je suis pongé. Cette Espérance est comme la source ou le moteur de ce souffle qui m’habite. Elle vient dans le froid d’un soir, elle jaillit du brouillard et efface mes peurs. Pourtant, dès que je repense à la situation, j’ai mal et la douleur s’intensifie. Je comprends alors qu’il n’y a que le temps pour aider à vivre ce passage. Je ne peux que me résoudre à faire confiance au temps et à Croire que l’Espérance que j’ai perçue au loin pourra me donner de continuer à Aimer sans rancune, sans m’emporter et sans jamais me résoudre à rechercher mon intérêt. Je comprends alors pourquoi il est dit que « l’Amour ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ».
Tout ce que je vis dans ma chair, tout ce que j’expérimente dans mon esprit, tout ce que j’éprouve mentalement me place face au « mystère » de l’Amour. Alors, je me demande pourquoi j’ai été porté à tourner mon Amour vers cet autre plutôt qu’à l’autre. Pourquoi ai-je pris le risque de m’ouvrir à l’autre et à entretenir cette flamme de l’Amour à son égard ? Toutes les questions que je me pose me renvoient à d’autres questions et je me retrouve dans un questionnement à l’infini. Aussi, toutes ces interrogations me font à l’instant prendre conscience que je vis un malaise devant le mystère. Je brûle d’envie de lever le voile sur ce mystère afin de découvrir ce qui s’y cache. Bien que j’en sois dans l’incapacité, je me demande tout de même ce que je gagnerai à élucider ce mystère. N’est-ce pas le principe même du mystère de nous échapper quand on veut le saisir, l’approprier, le maitriser, etc. ? Alors, sachant cela, pourquoi continué-je à vouloir comprendre le mystère de cet Amour dont je fais face et qui me dépasse ? Pourquoi ne pas simplement m’abandonner et accepter que ce soit ainsi ? Je comprends alors le sens de « Aimer en souffrant et souffrir en Aimant et en sachant que j’Aime ». Je comprends alors le sens de l’indissociable lien entre l’Amour et la souffrance. Je comprends alors qu’Aimer c’est le principe de la vie humaine, car cela consiste simplement à vivre et non pas à rationaliser. Aimer est de l’ordre du don, c’est-à-dire de la gratuité.
© Léandre Syrieix.
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