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Plusieurs personnes sont convaincues que leur bonheur dépend de la richesse matérielle qu’elles possèdent […] j’ai identifié quelques sources de bonheur inhérentes […] elles sont toutes des attitudes à cultiver qui ont plus de valeurs que l’opulence matérielle. Elles procurent une joie immense et une paix authentique. Il s’agit donc de la simplicité, de la douceur, de la sensibilité à la souffrance, de la recherche de justice, du pardon et de la recherche de la paix […]
Le Pardon
« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. » (Mt 5, 7) Il y a une différence entre le pardon et l’excuse. Je remarque un usage intempestif du mot « excuse » au quotidien. Apprendre à s’excuser fait partie des premiers apprentissages que les parents font à leurs enfants lorsqu’ils commencent à parler. Ainsi, nous sommes portés naturellement à nous excuser tous les jours et dans bien de situations : lorsque nous avons bousculé par mégarde une personne dans la rue, quand le service rendu à un tiers est trop long, lorsque nous avons commis une erreur ou fait une omission, etc. Quelquefois, je me demande si le fait de dire « excusez » ou « je m’excuse » n’est pas devenu machinal. Par ailleurs, dire « je m’excuse » n’a pas de sens, car je ne peux pas m’excuser moi-même alors que c’est à quelqu’un d’autre que je présente des excuses. C’est donc approprié de dire à la place « je vous prie [ou je te prie] de m’excuser ». Cette formule est plus adéquate et souligne la sincérité de la personne qui demande des excuses, mais aussi cela montre qu’elle est présente à la personne en question.
Avant cette digression, je disais avoir l’impression que le fait de dire « excusez » ou « je m’excuse » est devenu machinal. Je me suis donné durant une journée comme défi d’être attentif (dans le bus, sur le campus, au séminaire, dans la rue, au téléphone, à la télévision, etc.) sur le nombre de fois que les gens emploient « je m’excuse ». Ainsi, entre 7 h du matin et 22 h, j’ai relevé 98 usages de ce terme[1]. Quoi qu’il en soit, l’excuse est différente du pardon qui est source de bonheur. Le pardon a plus de profondeur que l’excuse dans la mesure où c’est directement lié à l’Amour, c’est gratuit et vise toujours à construire ou à rétablir une relation, une Alliance. Voilà pourquoi il y a beaucoup de joie dans l’acte même du pardon.
Pardonner procure une certaine paix intérieure et permet aussi de reconnaître que la personne offensante ne se définit pas uniquement par son geste, mais qu’elle est plus que ce qu’elle aurait dit ou fait de mal, qu’elle est également l’habitation trinitaire, qu’elle est créée à l’image de Dieu. Qui de nous peut prétendre n’avoir jamais commis de torts ou offensé quelqu’un ? Qui de nous peut affirmer n’avoir jamais fait d’erreurs ? Qui de nous peut en toute vérité dire n’avoir jamais goûté la joie d’avoir été pardonné ? Chacun, je suppose, a déjà fait l’expérience du pardon ou du moins, a déjà été dans la situation de celui ou de celle qui reçoit le pardon d’autrui. C’est un moment d’émotions, de joie et de reconnaissance. Et si nous permettons au prochain de vivre la même chose en pardonnant ses offenses comme nous avons été nous-mêmes pardonnés, alors nous verrons qu’il aura autant de joie à pardonner à son tour qu’à être pardonné. Évidemment, ce n’est pas facile de pardonner, surtout lorsqu’on est encore habité ou plongé dans la douleur ou les effets de l’offense. Prendre un peu de recul peut alors aider à faire le pas nécessaire vers le pardon.
Désirer ou prendre l’initiative de pardonner est déjà un grand pas qui peut nous aider à aller plus loin dans le pardon véritable et surtout, nous libérer progressivement de la colère, de la haine, etc., qui détruisent de l’intérieur tout en endurcissant le cœur et en créant une forme de barrière qui, à son tour, engendre le repliement sur soi et le rejet des autres. Concrètement, lorsqu’une personne nous a offensés et que nous vivons alors très difficilement le fait de devoir pardonner, si nous pensons à une bonne qualité de la personne, à un beau geste qu’elle a déjà posé et si nous y focalisons, cela peut nous aider à changer de regard, à détourner notre attention de son offense. Cela peut nous conduire à ne point l’y enfermer et à emprunter le chemin du pardon. C’est une méthode personnelle qui a fonctionné à 100 % toutes les fois que je l’ai appliquée. Toutefois, cela requiert de la patience. Il peut arriver que la personne qui nous a offensés soit une inconnue et que nous n’ayons pas une quelconque idée de ses qualités ou actions positives. À ce moment, il suffit alors d’imaginer des qualités et de les attribuer à cette personne et de s’y focaliser également.
Il n’y a pas de bonheur possible en ce monde sans pardon sincère et authentique. Il y a beaucoup de souffrance quand le pardon n’est ni donné ni reçu. Si nous nous arrêtons un instant sur la plupart des conflits militaires, politiques, religieux, etc., entre États ou nations ou encore sur les querelles familiales, sur les situations de divorces entres époux, sur les cas de tensions et de séparations amicales, sur les compétitions entres personnes ou entreprises au niveau professionnel, sur l’exploitation humaine dans toutes ses formes, sur les dominations politico-économiques, etc., nous verrons qu’elles résultent toutes de l’hypocrisie et de la rancœur vu qu’il n’y a pas de véritable pardon. Le cas des conflits entre États vient souvent du fait que chacune des parties veut à tout prix démontrer sa suprématie, terroriser ou ridiculiser l’autre. Et si au contraire, un État qui a par exemple été violé dans son droit pardonnait à son offenseur ? Certains pourraient voir dans un tel geste une faiblesse, pourtant sa grandeur repose sur une telle attitude. Bien évidemment, je suis conscient que les affaires étatiques, politiques, etc., sont très complexes. Mais en même temps, je suis convaincu que rien n’est impossible lorsque l’humain fait preuve de bonne volonté et décide d’emprunter le chemin de la réconciliation ou de la rencontre avec l’autre. Pardonner sans exiger des excuses de la part de son offenseur est une source de bonheur dans notre monde qui est actuellement marqué par tant de conflits.
La soif de paix
« Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9) La simplicité, la sensibilité à la souffrance, la douceur, la justice et le pardon contribuent toutes à procurer la paix tant individuelle que communautaire. Néanmoins, le chemin à emprunter va de l’intérieur vers l’extérieur, de la vie spirituelle à la vie temporelle, car il n’y a point de paix possible dans le monde si les cœurs sont eux-mêmes remplis de haine. Ainsi, pour que la paix advienne dans le monde, il faut d’abord qu’elle soit une réalité en nous-mêmes. Autrement dit, nous ne pouvons pas donner aux autres et au monde ce que nous ne possédons pas. Comment pouvons-nous prétendre être des artisans de paix dans le monde si nous ne sommes pas simples, si nous ne sommes pas doux, si nous ne sommes pas sensibles à notre propre souffrance ni à celle de l’autre, si nous n’œuvrons pas pour la justice, si nous ne pardonnons pas ? C’est la même chose au sujet de l’Amour, car souvent nous prétendons aimer ou avoir beaucoup d’Amour à donner dans nos différentes relations (amicales, amoureuses, familiales, etc.), pourtant nous ne sommes pas capables de nous aimer nous-mêmes. Comment pouvons-nous donner de l’Amour à l’autre alors que nous n’en avons pas ? Cultivons donc de la sorte la paix en nous pour en contaminer le monde, car c’est une source de bonheur insoupçonnée, non seulement pour nous personnellement, mais aussi pour les autres.
© Léandre Syrieix.
[1] Ce terme est couramment employé au Québec, car je n’ai pas le souvenir de l’avoir souvent entendu en France. Donc, c’est important de souligner que c’est en outre lié à la culture.
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