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Dans le Symbole de foi, nous disons que le Christ « a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers. » Ainsi, la croix est la porte d’entrée aux enfers, c’est l’échelle que notre Rédempteur emploie pour descendre au cœur des enfers. Il n’est pas tout de suite remonté dans les cieux d’où il est descendu par son incarnation. Non ! Il est descendu encore plus bas que son incarnation afin d’achever son œuvre rédemptrice. « Et c’était déjà environ la sixième heure, et l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure, le soleil s’étant éclipsé. Alors se fendit par le milieu le rideau du Sanctuaire. » (Lc 23, 44-45) Le silence absolu prend place, car l’œuvre de Rédemption se poursuit aux profondeurs. Le Christ descend établir ce même silence absolu aux abysses, aux enfers, afin que l’harmonie soit rétablie.
Après la croix, le Christ ne descend pas plus bas pour une visite de courtoisie, mais pour achever ce qu’il avait commencé par son incarnation. De toute évidence, le Christ est entré dans le monde par un moyen autre que celui jadis emprunté par le péché des origines au jardin d’Eden. Alors que le péché est entré dans le monde par le « cœur de l’humain[1], » le Salut vient par le Verbe qui, après être descendu dans la chair, c’est-à-dire son incarnation, descend cette fois dans les profondeurs humaines et de la création pour détruire à jamais la mort qui tenait tout l’univers captif. Le mal a été cloué sur le bois de la croix, sur le « Nouvel Arbre de Vie, » l’ennemi a été piégé. En effet, à présent qu’il est cloué sur la croix, le Christ descend par la puissance du Saint-Esprit briser les chaînes qui tenaient tout l’univers prisonnier. Maintenant, l’homme peut devenir dieu et la création peut devenir la cité de la montagne céleste, la « Nouvelle Jérusalem. »
La tradition orthodoxe à travers l’icône de la descente du Christ aux enfers illustre parfaitement la réalisation de notre Rédemption. Le Christ l’a fait une fois pour toutes. Nonobstant, à chaque commémoration de cet événement, le Christ descend au plus profond de nos propres enfers et de ceux de la création. Par conséquent, l’Écologie humaine est cœur de l’œuvre de Rédemption. « Un membre souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui. Un membre est-il glorifié ? Tous les membres se réjouissent avec lui. » (1 Co 12, 26) Alors, si l’humanité retrouve l’harmonie, le Salut de la création suivra dans la mesure ou nous appartenons tous, avec cette création, à « la famille du cosmos. » Le Christ descend au plus profond de nous pour nous libérer de toutes les chaines qui nous emprisonnent tant au niveau spirituel, psychologique que physique afin d’établir l’harmonie de notre corps promu à la Rédemption avec notre esprit. C’est un geste d’amour, car descendre c’est être en mouvement, c’est partir d’un point vers un autre. On peut y voir la « dynamique » de l’amour qui n’est pas quelque chose « statique, » mais au contraire un mouvement qui consiste à sortir de soi-même pour un autre. Ainsi, le Christ descend de la croix pour nous rejoindre au cœur de nos agonies personnelles et quotidiennes.
Dieu sort doublement de lui-même par amour pour se donner à nous, pour s’unir à nous afin que nous soyons unis, que notre esprit et notre corps retrouvent leur harmonie. La première sortie fut celle de l’incarnation par la puissance du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie, dans la chair humaine, dans la matière. La seconde sortie est celle de cette matière clouée sur le bois de la crois par la puissance du Saint-Esprit vers les profondeurs du monde invisible de notre être, dans notre esprit. Cela est possible parce que nous sommes corps et esprit : « Dieu façonna l’homme, poussière tirée du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2, 7) Les enfers sont traditionnellement présentés comme le séjour des morts, un lieu de tristesse, etc. Ces représentations peuvent s’appliquer à l’intérieur de nous, puisque nous sommes à la fois matériel et spirituel. Et de fait, les mondes spirituel et matériel sont indissociables, ils sont unis, mais sans confusion. Dans le Symbole de foi, nous professions « Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible. » Et ce faisant, nous affirmons que nous sommes matière et esprit.
La descente du Christ au cœur de nos enfers se fait par l’intervention du Saint-Esprit. L’action de Jésus-Christ n’est donc pas un geste individuel, c’est Trinitaire dans la mesure où Il est envoyé par le Père et que sa descente aux enfers et sa libération de l’univers sont des actes conjoints avec le Saint-Esprit. Ce dernier est de fait actif et non passif, il ne subit pas, il est impliqué dans notre histoire de Salut. Par la descente du Christ aux enfers de nos vies avec l’action du Saint-Esprit, il se produit une rencontre des mondes spirituel et matériel. Cela nous révèle que l’humain est la synthèse de l’union de l’esprit et de la matière. Le Christ vient nous réveiller du sommeil dans lequel nous sommes plongés de l’intérieur et opérer la coopération de Dieu avec sa créature, avec la nature. Et cela nous montre alors le chemin à emprunter, c’est-à-dire notre coopération à l’œuvre de Rédemption du Christ et à notre déification.
Après s’être anéanti en prenant la forme d’esclave (Phil 2, 7), la forme humaine, Dieu a épousé toute notre condition humaine excepté le péché afin que nous soyons transfigurés. Il descend du bois de la croix, du « Nouvel Arbre de Vie, » pour aller au plus profond de notre corps matériel et spirituel pour nous sanctifier afin que dorénavant notre « chair » soit promise à la résurrection, à la Rédemption. Après s’être laissé toucher par l’univers durant trois années, le Christ descend à l’intérieur de ce même univers pour le relever. Alors que Jonas a passé trois jours dans les profondeurs marines, c’est au cœur de nos enfers que le Christ vient parfaire son œuvre de Rédemption et retourner à la vie le troisième jour. Le silence a recouvert tout l’univers, et voici que le Rédempteur plonge au cœur du brouhaha, dans nos tumultes intérieurs afin d’y établir la paix, l’harmonie et la joie. Il vient nous libérer de toutes nos inquiétudes, de toutes nos quêtes d’identité, de toutes nos blessures tant intérieures qu’extérieures. Pour ce faire, notre liberté est nécessaire.
Notre libération intérieure conduit à la transformation extérieure, non seulement de notre corps qui est matière, mais aussi de la création, du cosmos. Par ailleurs, notre libération intérieure transforme nos liens avec nos frères et sœurs. Les tensions qui nous opposent sont alors détruites par la force de l’amour jaillissante de l’intérieure, par la descente du Christ libérateur dans nos profondeurs. Notre Salut ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur, car l’invisible définit le visible et en ce sens, le monde spirituel définit le monde extérieur, nos rapports avec nos semblables, ainsi que nos rapports avec la création tout entière. Le Rédempteur emprunte le bois de la croix, le « Nouvel Arbre de Vie, » pour descendre avec le Saint-Esprit libérer notre intérieur afin que nous formions avec le cosmos un seul temple.
N’ayons aucune crainte, car le mal est à présent cloué sur le bois de la croix, dorénavant il n’aura plus aucun pouvoir sur nous. Le Rédempteur descend au cœur de nos enfers illuminer nos ténèbres, calmer nos tempêtes intérieures et y établir le silence absolu. Le Christ descend faire surgir la joie de Pâques, il vient nous relever, pour qu’avec nous, la création retrouve également son équilibre originel, son Salut. Par sa descente aux enfers de l’humanité et de la création, Dieu vient établir un nouvel équilibre une triade ayant pour pôles la Trinité, l’humanité et la création.
© Léandre Syrieix.
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[1] Nous faisons ici allusion au « désir » d’Adam et d’Ève d’être comme Dieu tel que le serpent le leur avait mentionné en les trompant.
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