La prétention du savoir : je sais que…


Pv 31, 10-13.19-20.30-31 – Ps 127(128) – 1 Th 5, 1-6 – Mt 25, 14-30

33e dimanche du Temps Ord. (A) 

Être convaincu que l’on sait tout, que notre connaissance sur les choses voir sur les personnes est très éclairée reflète habituellement le signe d’une ignorance manifeste ou d’un orgueil démesuré qui empêche la confiance et par conséquent, nous ferme la porte à une réelle relation. Dans l’univers des sciences, la connaissance des choses se démontre et repose sur des faits, des preuves, des expériences… tandis que dans l’univers de la foi, il en est tout autrement ; car la prétention du savoir ne se tient pas et toute la place est faite au mystère, à l’abandon et à la confiance.

Les textes de l’Écriture nous éclairent sur la question, et c’est le cas d’une parabole racontée Jésus dans l’Évangile de Matthieu (25, 14-30). Ce récit met en évidence des rapports entre un homme et trois de ses serviteurs. Ces relations sont respectivement caractérisées par la confiance et la prétention du savoir. Pour mieux comprendre ces deux aspects, situons cette parabole dans le domaine de la vie spirituelle chrétienne. De fait, l’attitude du « serviteur mauvais et fidèle » (Mt 25, 26) qui, au lieu de rendre compte de la confiance qui lui a été faite, se contente, pour se justifier, d’émettre un jugement de valeur sur la personne qui lui a fait confiance. Voilà une manière très ancrée en nous, dans toutes les sphères de la vie humaine, même spirituelle : tout justifier. Ce serviteur fait aussi preuve d’effronterie, car il a la prétention de savoir qui est son maître puisqu’il le traite d’« homme dur [qui moissonne] là où [il n’a] pas semé, [qui ramasse] là où [il n’a] pas répandu de grain » (Mt 25, 25).

On retrouve cette attitude ou manière de faire dans la vie politique lorsque nos responsables essaient de tout justifier et répondent aux questions posées par l’insulte. Il s’agit là d’une forme de violence parmi une panoplie caractérisant l’agressivité sociale actuelle qui, selon moi, prend sa source dans la prétention du savoir. Dans le domaine religieux, de nombreuses personnes excellent en cet art, et il est triste de constater que même des chrétiens, des catholiques, se livrent à une certaine violence verbale sur les réseaux sociaux, dans les rues, etc., au nom de l’Évangile ; au nom de la doctrine de l’Église… Agir de cette manière, opter pour la faciliter ou le moindre effort ; c’est refuser délibérément de se placer dans une disposition d’écoute et de rencontre avec l’autre ; mais c’est surtout briser ou tourner le dos à la confiance de l’autre ; c’est refuser de faire confiance à l’autre. C’est aussi le signe d’un manque de « confiance en soi ». Or, faire confiance dans toutes les situations de la vie, c’est prendre l’initiative de ne pas craindre. Donc, « Confiance ! » n’est rien d’autre que « Ne crains pas ! ». C’est une invitation à ne pas avoir peur comme ce serviteur : « J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre » (Mt 25, 25). La peur ferme toutes les possibilités à la rencontre avec l’autre, à la confiance. La peur entendue comme la crainte doit être transformée en une vertu, « la crainte du Seigneur ». Et c’est ce que nous révèle le psalmiste lorsqu’il affirme «  Heureux qui craint le Seigneur […] » (Ps 127, 1,4). On voit alors que « la crainte du Seigneur » renvoie à l’amour de Dieu ou à la reconnaissance de Sa Majesté. Donc, nous sommes appelés à aimer Dieu et de ce fait, à aimer le prochain en osant lui faire confiance ; en nous débarrassant de nos prétentions de savoir sur les autres, et surtout sur Dieu. Voilà un des maux de notre temps : la prétention du savoir sur Dieu.

La prétention du savoir sur Dieu pousse à différentes formes d’extrémismes : parce que nous avons la prétention du savoir, nous affirmons que Dieu n’existe pas et nous l’imposons aux autres de différentes manières (laïcisme, athéisme, humanisme, etc.) ; nous affirmons que Dieu existe et nous l’imposons aux autres en employant l’apologie, le terrorisme religieux, l’agressivité. Pourtant, la docte ignorance socratique, « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien », est une attitude que nous pouvons cultiver, car elle détourne l’âme de la prétention du savoir, de la connaissance des sciences ou de choses maîtrisables vers Dieu, c’est-à-dire dans une relation humilité et d’abandon : la confiance ! Christ le premier nous a fait confiance en prenant notre condition (incarnation), en donnant sa vie, en ressuscitant pour que nous ayons la vie éternelle.

L’attitude des deux autres serviteurs, dans la parabole de Jésus, montre que la confiance se cultive, se travaille, exige des efforts et un engagement de notre part. En effet, ces serviteurs ont été fidèles en la confiance de leur maître (Mt 25, 21.23). Voilà une piste que l’Évangile nous offre pour entretenir des relations de confiance non seulement avec le prochain, mais surtout avec Dieu. On voit également que dans la confiance, il y a réciprocité : confiance du maître et confiance des serviteurs ; confiance de Dieu et confiance de l’humanité ; confiance du prochain et notre confiance ; confiance de l’Église et confiance des croyants ; confiance des baptisés et confiance des personnes de bonne volonté voir du monde, etc. Une urgence nous presse, celle de prendre l’initiative d’emprunter le chemin du passage de la « prétention du savoir : je sais que… » à la confiance au Tout-Autre, en Dieu, à soi-même et au prochain.

© Léandre Syrieix.


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