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La prière n’est pas uniquement personnelle, elle ne consiste pas à se présenter tout seul devant Dieu, mais aussi à porter les autres, voire même le cosmos. Ainsi, c’est parce l’on est habité par le divin, par la prière que l’on devient capable de porter les autres, non seulement dans notre prière, mais aussi dans la vie concrète, c’est-à-dire au cœur de leurs souffrances en leur apportant une aide sur divers plans : physique, psychologique et spirituel.
Poser des gestes concrets pour le prochain constitue un acte d’amour et illustre par le fait même ce que doit être la prière chrétienne, c’est-à-dire un « acte d’amour ». Ainsi, on aperçoit de nouveau la notion de prière comme respiration : « Si Dieu voit que ta prière respire l’amour, qu’elle monte vraiment du fond de ton cœur, il réalisera certainement le désir de ton cœur[1]. » La prière doit respirer Dieu. Or, « Dieu est amour » (Jn 4, 8). De ce fait, la prière doit respirer l’amour. Qu’est-ce donc l’amour sans les œuvres ? Comment peut-on aimer Dieu que l’on ne voit pas et ne point aimer son prochain[2] ? (1 Jn 4, 20) La prière chrétienne est celle qui se conforme au cri du Christ à Gethsémani vu qu’elle englobe tout le genre humain.
La prière est également un acte de foi, d’abandon. En effet, s’engager envers l’autre dans le quotidien avec la confiance que Dieu se fait présent illustre la foi totale en un Dieu pour qui rien n’est impossible. Faire confiance et croire que ce que l’on demande dans la prière va être exaucé est une disposition du cœur. Ainsi, croire et faire confiance nous engage non seulement dans la prière, mais aussi nous fait participer à la réalisation que nous attendons de Dieu qui ne fait rien sans notre libre consentement ni notre participation. En posant des gestes concrets pour le prochain, nous offrons notre propre personne, et cela découle de notre prière : « Je vous exhorte donc, Frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps — votre personne tout entière —, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. » (Rm 12, 1) La prière n’est donc pas passive, elle est active dans la mesure où elle nous engage au cœur des préoccupations de ce monde. Ainsi, l’humanité est appelée « à vivre et de l’action et la contemplation qui s’expriment par l’amour de Dieu, d’une part, et l’amour du prochain, d’autre part.
Nous sommes aussi appelés à nous nourrir uniquement de Dieu, intérieurement par la prière, et extérieurement par nos actions, c’est-à-dire l’engagement social, la charité, l’attitude envers le prochain, etc. La prière et l’action sont alors deux nourritures essentielles pour le genre humain. La prière est engageante vu qu’elle nous pousse à vivre pleinement du Christ là où nous sommes et dans tout ce que nous faisons. Elle concerne alors l’aujourd’hui et le maintenant. Notre prière est ainsi authentifiée par notre vie, par les gestes que nous posons. Nous pouvons de ce fait avancer que c’est l’existence humane qui donne un sens à la prière, car, comment pouvons-nous demander à Dieu quelque chose dont nous n’avons guère l’intention de réaliser. Notre prière, pour être authentique, est appelée à s’ajuster à nos actions, car « prière et action sont appelées à devenir des expressions de notre condition face à Dieu, face à nous-mêmes et face au prochain ou à tous ceux et celles qui nous entourent. La prière alors engageante puisque les paroles que nous prononçons supposent que nous nous engagions totalement. Et il s’agit d’un engagement de l’être tout entier (corps, âme et esprit).
La prière authentique est une nourriture pour l’humanité, elle doit cependant s’alimenter de choses concrètes, des œuvres, du réalisme humain, en s’incarnant donc dans les conditions de vie des hommes et femmes de ce monde. C’est ainsi répondre à l’invitation paulinienne : « En toute circonstance, que l’Esprit vous donne de prier et de supplier : restez éveillés, soyez assidus à la supplication pour tous les fidèles. » (Ep 6, 18) De plus, la prière est le moteur de l’existence humaine qui doit précéder toute action puisqu’elle est non seulement au-dessus de tout, mais aussi, elle précède et accompagne toutes nos actions, même notre sommeil. C’est encore elle qui donne un sens à tous les intérêts de la vie et qui féconde toute l’existence humaine.
La prière est aussi une manière d’être au monde et en présence de Dieu, en communion avec lui. Par notre être tout entier (corps, âme et esprit) nous entrons en prière, en présence de Dieu. Le corps devient alors lui-même prière, et cela prend du sens à travers la vie intérieure et les œuvres. Toutefois, c’est de la vie intérieure, c’est-à-dire du cœur que jaillit le Christ qui s’épanouit dans toute la vie humaine, dans les paroles et les gestes humains. Ainsi, par la prière du cœur, l’humain recherche la profondeur de la vie spirituelle. Finalement, prier c’est comme le psalmiste, bénir le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse aux lèvres (Ps 33, 2).
©Léandre Syrieix.
Liste de références
Archimandrite Sofrony, Sa vie est la mienne, Paris, Éditions du Cerf, 1981.
Bloom, Anthony, L’école de la prière, Paris, Éditions du Seuil, 1972.
Évêque Germain de Saint-Denis, La prière dans les épîtres de Saint Paul, Paris, Institut orthodoxe français de Paris Saint-Denys l’Aréopagite (coll. Cours de spiritualité), 2015.
Goettmann, Alphonse et Rachel Goettmann, Prière de Jésus : prière du coeur, Paris, Dervy-Livres, 1988.
Regnault, Lucien, Les sentences des Pères du désert. Nouveau recueil, Sarthe, Abbaye Saint-Pierre de Solesmes, 1977.
Sergiev, Jean Ilyttch, Ma vie en Christ, ou, Instants de recueillement spirituel et de contemplation, de pieuse méditation, de purification de l’âme, et de paix en Dieu: extraits du journal, Begrolles-Maine et Loire, Abbaye de Bellefontaine, 1979.
[1] J.I. Sergiev, Ma vie en Christ, ou, Instants de recueillement spirituel et de contemplation, de pieuse méditation, de purification de l’âme, et de paix en Dieu: extraits du journal, p. 62.
[2] « Le Christ, […] s’est fait pauvre pour nous et […] est devenu tout en tous pour sauver tous les hommes, prit la forme d’un mendiant infirme qui gisait sur le chemin. » (L. Regnault, Les sentences des Pères du désert. Nouveau recueil, p. 66.) Saurons-nous, à l’instar du saint Abbé, nous arrêter sur le chemin pour lui venir en ainde ?
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