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L’ordre des choses dans la littérature biblique a une signification très importante et véhicule pour la plupart du temps un message. On peut le voir par exemple dans l’AT avec l’ordre dans la création, dans le NT avec l’ordre de nomination des Apôtres, etc. Tout cela doit nous amener à convertir notre regard et notre attitude vis-à-vis de la création, de la nature dont nous avons la charge comme gestionnaires et non comme souverains.
« Que la terre produise de la verdure, de l’herbe portant semence, des arbres fruitiers donnant, selon leurs espèces, des fruits qui ont en eux leurs semences, sur la terre. » (Gn 1, 11) Après avoir créé les « contenants, » c’est-à-dire le ciel et la terre, voici que Dieu poursuit son œuvre le troisième jour avec les espèces végétales. Elles sont de ce fait premières dans l’ordre de la création. Par ailleurs, le chiffre trois a une signification très importante dans la littérature biblique et ecclésiale : perfection, trois jours de Jonas dans les fonds marins, la résurrection du Christ le troisième jour, les trois personnes de la Trinité, etc. Il y a donc toute une symbolique dans le fait que la création des espèces végétales survient le troisième jour.
« Que la terre fasse sortir des êtres vivants selon leur espèce : bestiaux, reptiles, bêtes sauvages, selon leurs espèces […] Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. » (Gn 1, 24-26) C’est donc au sixième jour que les espèces animales sont créées, suivi de l’humain. Ce récit de la création est donc pédagogique, car l’humanité arrive dans un cadre déjà préparé pour lui. Toutes les conditions sont requises pour qu’elle puisse vivre en harmonie avec son milieu.
Ce détour par le récit de la création nous permet à présent d’aborder notre sujet, l’histoire du Salut de l’humanité au cœur des célébrations du Triduum Pascal, notamment la nuit du Jeudi Saint. En effet, le Christ, le Verbe de Dieu a pris chair, il a épousé la condition humaine afin de nous libérer du poids du péché, de la mort éternelle. Et avant de réaliser notre rachat à ce pouvoir de la mort, c’est-à-dire avant d’entrer dans sa passion pour clouer à jamais la mort sur le bois de la croix, le Christ célèbre une dernière fois le repas pascal avec ses « amis. »
Les textes liturgiques de cette célébration mettent en lumière la « participation entière[1] » de la création, plus particulièrement de la nature, dans l’histoire du Salut. Dans la première lecture tirée du Livre de l’Exode, Dieu institut un rituel, celui que Lui-même, c’est-à-dire son Fils, le Christ qui lui est « consubstantiel[2] » va employer pour notre Salut. Dieu sauve ainsi le peuple d’Israël à travers un rituel, un sacrifice, un repas. Il se sert donc des éléments de la nature : « Vous le [l’animal[3]] prendrez parmi les agneaux ou parmi les chevreaux […] avec des azymes[4] et des herbes amères. » (Ex 12, 5-8) Nous remarquons de ce fait que toutes les espèces de la terre (végétaux et animaux) sont employées, ou encore participent à la libération du peuple d’Israël en captivité en Égypte. On retrouve un parallèle dans le récit de l’institution de l’Eucharistie, où Dieu lui-même, c’est-à-dire le Christ qui lui est consubstantiel se donne dans les fruits de la terre : le pain et le vin. Le Curé d’Ars dira : « Lorsque Dieu voulut donner une nourriture à notre âme pour la soutenir dans le pèlerinage de la vie, Il promena ses regards sur la Création et ne trouva rien qui fût digne d’elle. Alors, il se replia sur lui-même et résolut de se donner. » Et ce, dans les espèces eucharistiques, fruits de la terre et du travail des humains, qui devient par la puissance de l’Esprit-Saint son Corps et son Sang.
L’écologie participe donc à notre histoire de Salut, et ce parcours de quelques textes de la célébration du Jeudi Saint nous invite à changer d’attitude envers la nature. La nature nous accueille à la sortie du sein maternel et mérite de fait un respect de notre part. Elle fait partir de « la famille du cosmos » à laquelle nous appartenons tous puisque nous sommes, comme humains aussi des espèces vivantes tirées de la terre : « Yahvé Dieu façonna l’homme, poussière tirée du sol. » (Gn 2, 7) Dieu ne nous sauve pas sans rien, il le fait à partir de quelque chose, à partir sa propre création, à partir de la matière qui est également notre essence.
Lorsque la nature va mal, nous allons mal : « Un membre souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui. Un membre est-il glorifié ? Tous les membres se réjouissent avec lui. » (1 Co 12, 26) Nous entendons souvent dans le discours des personnes qui nient l’existence de Dieu qu’au regard de toutes les catastrophes naturelles, il (Dieu) ne peut exister. Et bien ! Une autre analyse serait la suivante : les catastrophes naturelles, les changements climatiques sont des signes de détresse de la nature, des signaux d’alarme. Elle est stressée et en tension suite à toutes nos maltraitances et nos actions néfastes sur elles. L’attitude du peuple amérindien et les peuples d’autres cultures à travers le monde devraient être pour nous une source d’inspiration. En effet, pour toute chose prise à la terre, le peuple amérindien lui manifeste un signe de gratitude, il lui donne quelque chose en retour. Ce peuple vit dans une harmonie avec la nature, parce qu’il se reconnait comme membre à part entière de « la famille du cosmos. » Comme un corps malade manifestant des symptômes extérieurs de maux qui, de l’intérieur l’attaquent, ainsi la nature à travers les diverses manifestations que nous connaissons nous dit sa souffrance.
Dieu s’est incarné, « Lui qui subsistant en forme de Dieu, » (Phil 2, 6) a pris notre forme humaine faite de chair, de matière, de créature au sens objectif et nous a sauvés par cette même matière. Comment pouvons-nous donc mépriser cette matière, cette nature qui nous accueille ? Comment pouvons-nous abuser des richesses de la terre ? Pourtant il est dit : « Si la maison est trop peu nombreuse pour une bête, on la prendra avec le voisin le plus proche de la maison, suivant la quantité des personnes ; d’après ce que chacun mange, vous calculerez ce que doit être la bête. » (Ex 12, 4) N’est-ce pas là une interpellation par rapport à notre attitude ? Par rapport au gaspillage ? Par rapport aux liens avec les voisins, avec le prochain quand il s’agit de gérer ou de consommer les biens de la terre ? De même, « Pour autant que vous l’avez fait à l’un de ses moindres frères que voilà [au plus petit, aux affamés, aux prisonniers…], c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, 40) Ces paroles du Christ peuvent aussi s’adresser à nous quand nous traitons mal la nature ou la considérons comme sans valeur. Quand nous nous considérons comme des souverains suprêmes vis-à-vis d’elle à travers nos activités inconscientes et néfastes sur l’environnement.
Le Salut ne concerne pas seulement l’humain dans la mesure où Dieu ne nous sauve pas de rien, c’est par la nature que cela se produit. La vision de Jean dans le Livre de l’Apocalypse illustre notre propos : « Et je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle […] Et j’entendis, venant du trône, une voix forte qui disait : “Voici le séjour de Dieu avec les hommes, et il séjournera avec eux, et eux seront ses peuples, et Dieu lui-même sera avec eux […]” » (Ap 21, 1-3) La liturgie du Jeudi Saint peut donc transformer notre rapport avec la nature dans la mesure où, comme nous l’avons évoqué à travers quelques textes bibliques, elle nous précède dans l’ordre de la création, elle participe au Salut du peuple d’Israël tout comme au nôtre avec les actes et les gestes du Christ à la Cène. Ainsi, nous sommes de même substance (essence) avec la nature et cela suppose que nous la traitions comme nous-mêmes, car elle est aussi appelée à la rédemption. Ses souffrances sont nos souffrances, ses peines sont nos peines.
© Léandre Syrieix.
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[1] Aucunement nulle ni partielle.
[2] C’est-à-dire de même essence ou substance.
[3] La bête du sacrifice.
[4] Pain sans levain.
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