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Dt 26, 4-10 – Ps 90 (91) – Rm 10, 8-13 – Lc 4, 1-13
Messe 1er dimanche du Carême (C)
Parler du désir est difficile, car le mot possède plusieurs sens, mais renvoie généralement au manque, à l’absence ou à la perte. « La tentation du Christ » au désert dans l’Évangile de Luc met en évidence cette notion de désir et peut nous aider à entreprendre spirituellement le chemin du carême, ces quarante jours de préparation à la célébration du cœur de la foi chrétienne : Pâques.
Chez saint Augustin, on retrouve le désir comme l’expression d’une absence. En effet, cela traduit un manque, et c’est « le signe de l’inachèvement de notre être qui tend vers le bien qui lui manque pour atteindre sa plénitude, son bonheur[1]. » On peut relever cela dans l’expérience du Peuple d’Israël dans le désert : « Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos Pères. » (Dt 26, 7) Manifestement, il y a dans ce cri un profond besoin de liberté. Par ailleurs, le lieu d’où jaillit le désir chez l’être humain c’est le cœur comme nous l’indique Saint Paul : « si dans ton cœur, tu crois que Dieu a ressuscité [le Christ] d’entre les morts, alors tu seras sauvé. Car c’est avec le cœur que l’on croit pour devenir juste ». (Rm 10, 9-10) Dans l’expérience spirituelle chrétienne, le désir est comblé par la prière. En ce sens, plus on désire quelque chose, plus on peut prier pour l’obtenir, d’où l’invitation de Saint Paul à prier sans cesse (Th 5, 17). Alors, « comment prier sans cesse lorsque nous sommes accaparés par les milles et une tâches quotidiennes ?[2] »
Saint Augustin dit que « Ton désir, c’est ta prière ; si ton désir est continuel, ta prière aussi est continuelle. Ce n’est pas pour rien que l’apôtre Paul dit : “Priez sans cesse.”[3] » Ainsi, au cœur des préoccupations quotidiennes nous sommes invités à transformer notre désir en prière et le carême est de ce fait un temps favorable d’entrainement à cette fin. De toute évidence, « la prière continuelle n’est pas dans le corps, pas plus d’ailleurs que dans l’intelligence ou dans la sensibilité ; et pas davantage dans la multiplicité des Paroles […] elle n’est donc pas un acte ou une série d’actes ; elle est un mouvement de notre cœur, son désir profond[4] ». La prière nourrit et augmente notre désir en Dieu en agissant comme la levure dans la pâte ou encore comme l’engrais dans la terre. C’est ce que nous montre le Christ à travers son expérience de prière dans le désert. En effet, il commence sa vie publique par un temps d’ascèse et de prière continuelle afin de faire grandir davantage son désir, c’est-à-dire faire la volonté de son Père : sauver l’humanité.
Le carême est un temps adéquat durant lequel nous pouvons réapprendre à placer la prière au cœur de notre vie. Manifestement, « la prière va nous amener à convertir notre désir des biens de ce monde en désir du bonheur que Dieu veut nous donner[5]. » C’est l’exemple que nous donne le Christ à travers sa tentation au désert. C’est dans la prière qu’il a trouvé la capacité de résister aux différentes séductions du diable : la Parole est plus forte que le pain, l’adoration est plus que le pouvoir, la confiance est plus que le miracle. (Lc 4, 3-11). Le Christ a de ce fait misé sur le vrai bonheur. Cet épisode du désert nous renseigne sur la pédagogie divine : « Son désir de donner est plus fort que notre désir de recevoir […] À être donné tout de suite, cela perdrait de son prix. […] C’est Dieu qui donne, et il n’a rien de mieux à te donner que lui-même[6]. » Or le diable fonctionne différemment, il propose tout de suite, sans même qu’il y ait eu de demande formelle. Il se sert du désir primaire comme la faim pour nourrir l’envie, la soif du pouvoir, de la gloire et des miracles. Cela indique que nous sommes invités à purifier notre désir pour que Dieu puisse le remplir. Par ailleurs, la tentation au désert nous révèle que, « parce qu’il veut notre bien, Dieu ne peut exaucer que les prières qui nous élèvent […] C’est pourquoi quelquefois, par amour, il y répond par le silence. Mais parfois la difficulté est plus grave. Ce n’est pas seulement l’absence apparente de Dieu qui en est la cause, mais la méchante présence de ses adversaires[7]. » On comprend alors que le diable est jaloux de l’humain qui prie et il emploie toutes les ruses pour lui faire manquer son but.
La prière est donc un moyen essentiel pour combler les désirs. C’est une école de patience et de confiance en Dieu qui ne nous veut que du bien. Le temps de carême est le moment favorable pour nourrir ce désir de Dieu, pour purifier nos désirs humains sous toutes leurs formes. Il connaît notre désir profond et le comble parce qu’il est amour. En ce sens, le Peuple d’Israël a crié vers lui son désir de liberté, et il a répondu par des actions, des signes et des prodiges (Dt 26, 8-9). Nous laisserons-nous alors, comme le Christ, pousser par l’Esprit au désert afin de vivre de sa Parole, de l’adorer et de lui faire confiance ? Le carême est un temps favorable pour s’y entrainer.
© Léandre Syrieix.
[1] Ancilla Durliat, « Saint Augustin et la prière continuelle », Vives flammes 5/174 (1988), p. 19. [2] Ibid., p. 15. [3] Daniel Vigne, Chemins de prière à l’écoute des Pères, Toulouse, Éditions du Carmel (coll. Vives flammes), 2018, p. 95. [4] A. Durliat, « Saint Augustin et la prière continuelle », p. 16-17. [5] Ibid., p. 18. [6] D. Vigne, Chemins de prière à l’écoute des Pères, p. 100. [7] Ibid., p. 100-101.(15)
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