Tout à tous : une nécessité qui s’impose à moi


Jb 7, 1-4.6-7 – Ps 146(147) – 1 Co 9, 16-35.22-23 – Mc 1, 29-39

5e dimanche du Temps Ord. (B)

 

La fiction de Robinson Crusoë indiquait que l’humain est un être social, c’est-à-dire qu’il a besoin d’entrer en relation avec l’altérité. C’est d’ailleurs le principe même de la communication. Toutefois, quand il s’agit de relation, il ne peut guère avoir de transmission sans réelle proximité ; si les interlocuteurs ne se comprennent pas ; si l’une des deux parties ne plonge pas dans la réalité de l’autre ; etc. Lorsque ce principe relationnel n’est pas au rendez-vous, l’on tombe alors dans de situations concrètes telles celles où les personnes en responsabilités publiques ou politiques prennent des décisions ou légifèrent sur des sujets qui ne tiennent pas compte de la réalité de la population ; celles où des entreprises ou industriels font fi des conditions des travailleurs ; celles où des organisations ou des États ne tiennent pas compte de la réalité des populations du « tiers monde » qu’elles prétendent aider… On voit même cela au sein du Christianisme lorsque l’Évangile ou la foi chrétienne est transmis sans tenir compte de la réalité de l’autre.

Sur ce dernier point, nous constatons chez saint Paul que l’annonce de l’Évangile est une nécessité (1 Co 9, 16). Autrement dit, ce n’est pas une option, mais plutôt une quasi-obligation morale pour toute personne baptisée qui la reçoit comme une mission à remplir (1 Co 9, 17). Nous dirions même que c’est supposé être une respiration, c’est-à-dire un acte permanent ; un réflexe inné, un habitus. Seulement, cela n’est possible qu’en se faisant tout-petit, en se rabaissant comme saint Paul en se faisant esclave de tous (1 Co 9, 19) ; en se faisant l’ami de tous ; en partageant la réalité de chaque individu ; en étant avec le monde et au milieu des gens ; en apprenant le langage de l’autre ; en s’immergeant dans la réalité de l’autre. Bref, en se faisant « Tout à tous », c’est-à-dire en pratiquant l’Amour du prochain ; en se privant de nombreux privilèges pour que l’autre reçoive la Bonne Nouvelle du Salut en Jésus-Christ.

C’est tout le contraire d’annoncer l’Évangile sans tenir compte de l’autre : son histoire, sa culture, sa langue, sa réalité souffrante ainsi que socio-culturelle voire économique, ses forces et ses limites, etc. Il ne s’agit pas non plus de donner à l’autre le premier verset biblique qui nous vient en tête en vue de lui faire une démonstration ou de l’amener à croire en Dieu. Une telle méthode s’apparente à de la manipulation, non seulement de l’autre, mais aussi de la Parole de Dieu à nos fins personnelles ou collectives. Il ne s’agit pas non plus de tenter de trouver une réponse voire une solution à tous les problèmes de l’autre à partir de l’Écriture. Il pourrait plutôt s’agir d’être à l’Écoute de l’autre ; de pleurer avec l’autre comme le Christ pleurant avec Marthe et Marie pour son ami Lazare ; d’être présent avec l’autre dans le silence pour lui signifier que nous n’avons certes pas de solutions, mais qu’il n’est pas seul ; donner à manger à la personne qui a faim ou qui nous demande de l’aumône plutôt que de lui proposer une parole biblique qui ne comble pas sa faim matérielle ; se tenir debout sur la place publique avec le ou la prostituée afin de découvrir son univers, ses motivations ; s’asseoir dans la rue avec les mendiants pour leur offrir ce qui est à notre portée ; transcender ses peurs en allant à la rencontre de l’autre dans sa différence pour découvrir le trésor qui se cache en lui/elle… Plusieurs autres moyens concrets, humains, simples sont à notre portée pour nous permettre d’être « Tout à tous » en vue de l’annonce de l’Évangile.

Nous faire « amis de tous » s’impose alors à chacun de nous individuellement puis communautairement comme une nécessité en vue d’annoncer la Bonne Nouvelle du Salut. De manière concrète, cela suppose que je sois capable ou du moins, que je prenne l’initiative de plonger dans la réalité de l’autre en vue de partir de son expérience comme celle de Job. Autrement dit, c’est être à l’écoute de la personne dont l’expérience de vie est une corvée (Jb 7, 1) ; qui connait majoritairement dans sa vie des « nuits de souffrance » (Jb 7, 3) ; qui est « envahi de cauchemars jusqu’à l’aube » (Jb 7, 4). Cela veut dire que nous ne pouvons pas annoncer l’Évangile sans tenir compte de l’expérience souffrante des personnes à la manière du Christ.

En effet, le Christ annonce une Bonne Nouvelle du Salut à partir de la réalité de chaque individu. Il ne se contente pas de la théorie ou de paroles désincarnées de l’expérience souffrante des personnes, mais il soulage (Mc 1, 30-31) dans la mesure où c’est une étape essentielle, voire initiale, pour annoncer une Parole de vie. Le Christ soulage des souffrances en vue de révéler aux personnes la gloire de Dieu, en vue de susciter chez l’autre une soif ou une faim de Dieu : « Tout le monde te cherche » (Mc 1, 37). C’est en imitant le Christ que nous serons alors capables d’amener nos sœurs et nos frères à reconnaitre, comme le psalmiste, que le Seigneur guérit, même les cœurs brisés et qu’il soigne toute blessure (Ps 146, 3). Agir ainsi, c’est-à-dire en était « Tout à tous » est une nécessité qui s’impose à moi, qui me pousse à parcourir, à l’instar du Christ, les Galilée de nos vies et de nos quartiers pour soulager en vue de proclamer la Bonne Nouvelle du Salut.

© Ab. Léandre Syrieix.


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